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Critique de Apoapo


Omar Benlaala, auteur par ailleurs d'un récit autobiographique sur son expérience précoce de la « radicalisation islamiste » dans la France de ce début du XXIe siècle, entreprend ici de rapporter les mémoires de la migration de son père, Kabyle venu à Paris comme maçon et devenu enfin syndicaliste. Peut-être par le hasard du nom du lieu où se sont déroulés les entretiens, il découvre une multiplicité d'analogies entre le parcours migratoire paternel et celui de Martin Nadaud, lui aussi immigré à Paris depuis la Creuse dans la première moitié du XIXe siècle, lui aussi maçon devenu député et promoteur de la loi de 1898 sur les accidents du travail. Les deux récits, à la première personne, s'alternent et se croisent savamment, pour mettre en évidence les invariants multiples dans les tribulations et l'ostracisme subis par les deux hommes, à environ cent ans d'écart ; ce n'est qu'avec une grande parcimonie et discrétion filiale que l'auteur ajoute sa propre voix, en italiques et qu'il tente, presque sans succès, de recueillir aussi la parole maternelle.
Les éléments de similitude entre les deux biographies, outre les outrages liés à la mauvaise réception des « prolétaires » venus d'ailleurs, que le titre de l'ouvrage résume et le chapitre initial introduit – discrimination urbaine dans le logement pour Bouzid Benlaala, plusieurs exils dus aux turbulences politiques du XIXe s. pour Nadaud –, représentent les conditions générales du passage de la tradition à la modernité : d'abord linguistique, par la maîtrise du français (on parlait encore le patois dans le Limousin), ensuite dans le voyage migratoire – y compris l'arrivée décalée des épouses et la recomposition du foyer – ou encore dans la progression sociale à travers le travail, en particulier pour « le peuple des bâtisseurs », jusqu'à la question cruciale de l'émancipation, personnelle et de sa progéniture, grâce à l'instruction. le contexte politique aussi aurait pu offrir des analogies, qui malheureusement n'apparaissent qu'en filigrane : des frustrations et hostilités liées à la guerre d'Algérie à l'apparition de la « question musulmane » qui occulte à peine la dégradation du marché du travail à partir du début des années 80, pour l'un, les avatars sanglants de l'action politique révolutionnaire et socialiste sous les différents régimes institutionnels, pour l'autre.
Mais hélas, même en dehors de cette omission, les deux récits n'ont pas le même poids : la reconstruction fictionnelle de la biographie de Nadaud, dont pourtant il doit exister plusieurs sources, est presque ancillaire par rapport à l'autobiographie retranscrite du père. C'est mon plus grand regret. Par contre, j'apprécie beaucoup la précision avec laquelle la langue du personnage du passé a été rendue, à la fois légèrement obsolète et chargée de ces expression argotiques, régionales, figurées (populaires et sans doute tirées du jargon du métier) qui le rendent tout aussi vivant que le personnage du père : à cette maîtrise linguistique on reconnaît, en fin de comptes, l'étoffe de l'écrivain.
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