AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lucilou


Ah l'Espagne du siècle d'or! Sa grandeur, son or, les toiles du Greco et de Velasquez, les motets de Francisco Guerrero... Tirso de Molina, Calderon... Don Quichotte..!
La Reconquista, l'Inquisition, Torquemada (un brave type celui-là!), la torture et les persécutions. Les juifs et les musulmans d'abord. Les protestants ensuite. Et puis les marranes et les morisques. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à un hérétique.
Drôle d'époque. Epoque d'or et de sang. de lumières et de ténèbres plus aveuglantes encore.
Grande et cruelle, comme "Ô Maria".

Depuis "Les Amants désunis" qui à ce jour demeure pour moi l'un des plus beaux romans que j'ai pu lire, je m'étais promis de lire à nouveau Anouar Benmalek sans jamais pourtant en trouver l'occasion. Il a fallu un passage chez un bouquiniste lors de mes vacances dans le sud-ouest pour y remédier. C'est ainsi qu'en farfouillant dans les rayonnages, je suis tombée -par hasard- sur une exemplaire un peu corné de "Ô Maria" que je me suis sentie obligée d'adopter. Il me faisait les yeux doux, le bougre et entre son auteur, sa quatrième de couverture, son air de livre bourlingueur, comment résister?

Maria est toute jeune, à peine une adolescente et déjà belle. Beaucoup trop belle. Elle grandit dans les montagnes andalouses auprès de son père, menuisier, et de sa tante dans une bienheureuse insouciance jusqu'au jour où sa vie bascule. Ce jour-là, sa tante lui apprend qu'elle est -comme tous les siens- une morisque. C'est par ce terme qu'on désigne les musulmans d'Espagne qui se sont convertis au catholicisme à partir de 1499 et jusqu'en 1526 pour pouvoir demeurer en Espagne après la Reconquista ainsi que les descendants de ces convertis. Pour Maria, chrétienne, cette révélation est troublante et la voilà déchirée soudain entre deux fois, deux cultures…
Nous sommes en 1576 et pour les héritiers de la culture arabo-andalouse que sont les morisques, contraints le plus souvent de vivre en marge, les temps sont durs: les autorités qui craignent de fausses conversions leurs interdisent de parler leur langue, de porter leurs vêtements traditionnels. On brûle leurs livres aussi (et c'est bien connu, là où on brûle des livres…). Des interdictions aux brimades, il n'y a qu'un pas. Des brimades à la déportation également, et de la déportation à l'extermination…
Maria est -comme tant d'autres- jetée dans cette histoire-là et quand un hidalgo et sa horde de cavaliers sanguinaires débarquent dans son village, elle n'échappe pas à son destin.
Le roman d'Anouar Benmalek nous donne à voir la vie de ce personnage dévoré par L Histoire et l'intolérance religieuse. On s'attache à Maria, qui s'endurcit au fil du roman, on la suit des geôles du marché aux esclaves à sa fuite éperdue, dans sa quête d'amour et de liberté, dans son besoin de s'affranchir de la loi des hommes par le désir et la sueur de son front.

C'est un roman à la fois magnifique et extrêmement dur, cruel, ce qui rend sa lecture douloureuse parfois -c'était déjà le cas avec "Les Amants Désunis". La langue de l'auteur oscille entre un lyrisme à se pâmer, une poésie d'une pureté incroyable et une forme de violence. le récit peut être beau mais sait se faire dur, sale, cru. On n'ignore rien des atrocités subies par Maria, ni de ses trop rares jouissances. On entend tout le bruit et la fureur, les cris, ceux des agonisants et les autres. On respire toutes les odeurs, de la plus suave à la plus infâme.
Cette écriture, c'est un tour de force, une réussite qui met parfois un peu mal à l'aise et qui envoûte littéralement. Un souffle comme une chanson désespérée qui voudrait qu'on y croit encore, un hurlement de terreur qui n'en peut plus de la barbarie. Un oiseau qui se cogne à mourir aux barreaux de sa cage.


Au coeur de ce roman-barbelé où il n'y rien à retrancher, mention spéciale pour la troisième partie qui m'a particulièrement tenue en haleine et pour le prologue, aussi audacieux qu'éblouissant. Aussi beau que violent.
Ne serait-ce que pour ce prologue, sublime, "Ô Maria" vaut la peine d'être lu, ce prologue qui justifie à lui tout seul la réputation d'Anouar Benmalek de "Faulkner méditerranéen".


















Commenter  J’apprécie          150



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}