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Critique de belcantoeu


Pierre Dumaine est fait prisonnier au début de 14-18 et envoyé dans un camp de Prusse orientale («Le train s'ébranla à l'heure dite, ainsi qu'il sied à un train allemand» - déjà cette réputation). Des Russes les rejoignent au camp, mais seront libérés quand Lénine conclura une paix séparée avec Guillaume II. Comme Dumaine est ingénieur en électricité dans le civil et parle allemand, il bénéficie rapidement d'un régime spécial. Il est envoyé quotidiennement auprès du duc et général en retraite de Reichendorf pour y réaliser des travaux dans son château délabré, et rentre au camp le soir. Très vite, une certaine complicité s'installe entre le vieux général de 1870 et le prisonnier qui se fait remarquer aussi pour ses qualités humaines.
Le duc a recueilli sa nièce Axelle, orpheline, qui a accepté d'épouser après la victoire dont les Allemands ne doutent pas, son fils Dietrich, un fiancé qu'elle n'aime pas et qui est d'ailleurs peu présent dans le roman, sauf que... Dietrich, et Dumaine, découvrent qu'ils se sont battus l'un en face l'un de l'autre au même champ de bataille. Dans le même esprit, on verra les prisonniers français jouer aux cartes avec leurs geôliers allemands. L'auteur multiplie ainsi les contrastes entre les nations qui se combattent et les hommes qui se lient malgré ce qui les oppose.

Tout ce roman, très humain, qui date de 1928, 10 ans après l'armistice, est rythmé par les nouvelles du front, longtemps favorables aux Allemands. C'est parfois un peu long (374 pages - Nous sommes au pays de Wagner), mais il faut peut-être cette longueur pour que s'accepte peu à peu la complicité. le général condamne cette guerre qui fait tant de morts inutiles et déplore qu'on ait abandonné les méthodes efficaces de 1870, qui fut suivie par un boom économique au point que «La lecture de la Bible fut détrônée à Nikolaïken par celle des cours de Bourse» (p. 153).
Le vieux général est ruiné par les dettes de jeu de ses fils décédés, qu'il a accepté d'honorer, et vit dans une misère qu'il n'arrive pas à dissimuler entièrement, au point que Dumaine fait parfois bénéficier sa cuisinière des colis qu'il reçoit de France. le monde à l'envers ! On peut rappeler que la chute et la décadence de la noblesse sont un thème fréquent chez Pierre Benoît,
Dumaine est tellement épris d'Axelle qu'il refuse d'être libéré pour être soi-disant soigné en Suisse d'une maladie imaginaire, lors du passage d'une commission internationale, un ami étant intervenu en sa faveur. Il reste au camp. Pourtant, que peut-il espérer, lui prisonnier et ennemi, de la jeune aristocrate fiancée qui pourtant semble s'attacher peu à peu à lui, soulignant l'absurdité et les atrocités de la guerre. le contraste entre leurs situations est au maximum, mais illustre la règle selon laquelle les contraires s'attirent. Parfois froide par devoir et comme certaines héroïnes de Daphné du Maurier, Axelle est tiraillée entre le mariage qu'on lui destine et son attirance charnelle mais pudique, et longtemps mutique, envers le prisonnier. Distante, elle s'ouvrira peu à peu.
Pendant ce temps, la vie se poursuit au baraquement où Dumaine retrouve chaque soir ses camarades: Vandaele, Sylvestre, Audemard, Fichet et Gourrut (personnage qui figure déjà dans L'Atlantide). Certains s'évadent, et sont tués. Les destins individuels croisent ceux des nations, mais bientôt, la victoire change de camp. Il faut même mobiliser un vieil invalide allemand qui est renvoyé au front, mais c'est trop tard. L'armistice est signé et Guillaume II s'enfuit... comme aussi les gardiens du camp. L'illusion du «nach Paris», en six semaines s'effondre pour l'Allemagne.
Comme c'est la règle chez Tourguéniev, l'amour des deux jeunes gens est profond, mais senti comme impossible. Axelle explique à Dumaine qu'il est facile au vainqueur de tendre la main, mais pas au vaincu de l'accepter. Si l'Allemagne avait gagné, elle aurait osé prendre sa vie en mains et épousé Dumaine plutôt que Dietrich, quitte à scandaliser tout le monde, mais «Un français, une Prussienne» c'est difficile à faire passer.
Le vieux général est mourant, les créanciers se manifestent, et Axelle, sans ressources, devra accepter d'héberger une garnison au château. On devine que son destin ne lui réserve rien d'enviable.
Dumaine, rentrant en France l'âme en peine, rencontre par hasard à la gare de Königsberg un soldat allemand démobilisé. A Paris, il revoit Guérin, mais les anciens camarades ne veulent plus évoquer leurs souvenirs de misère.
Cinq ans après ce roman pacifiste et plaidant pour la réconciliation franco-allemande, Hitler prendra le pouvoir en 1933. Pierre Benoit a alors 47 ans. En 1932, il avait été reçu à l'Académie française.
On notera que le prénom de beaucoup d'héroïnes de Pierre Benoit commence par un A (Axelle, Antinéa, Allegria, Aurore,...), hommage dit-il à Albi, sa ville natale.
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