« A l’heure où notre héritage a été bafoué, où nos gloires ont été spoliées et nos modèles remplacés, il est désormais comme un devoir pour nous de replonger dans notre histoire afin d’en tirer les plus belles leçons et de revenir aux sources de notre réussite » (Dar al-Islam 10 : 31).
Une telle revitalisation de l’islam évoque pour de nombreux musulmans la majesté de leur civilisation, incarnée au premier plan par le califat du fait de sa proximité avec la période prophétique :
« Depuis plusieurs siècles, l’oumma n’a jamais vécu la nomination d’un calife digne de ce nom ni l’union d’autant de jamaat (groupes), partout dans le monde, qui se rassemblent sous un seul État, sous une seule bannière, et sous un seul imam » (Dar al-Islam 1 : 7).
La célébration de la grandeur islamique passe assez naturellement par la dégradation symétrique de l’Occident et de ses adversaires, taxés de décadence. Dès le numéro d’ouverture de Dabiq, l’État islamique se pose comme l’héritier et le descendant de la « grande religion d’Abraham », le monothéisme, dont les échos se réverbèrent parmi les musulmans aux quatre coins du monde. Le groupe souligne que le monothéisme s’est éteint dans un Occident dégénéré et méprisable, au niveau moral et culturel. La « canaille » occidentale, composée de détracteurs et de « maquilleurs de l’Histoire » connus pour escamoter la vérité, aurait tenté de s’approprier les gloires des pionniers de la science. Et d’ajouter ici : « Ce ne sont pas les descendants de cette déchéance humaine qui s’octroieront le droit de nous réduire au silence et à l’impuissance » (Dar al-Islam 10 : 34). Voici l’inversion des rapports dominants-dominés par l’État islamique : conjurer la ruine présumée du monde musulman en causant celle de ses ennemis déclarés.
Les thèmes du déclin et de la décadence ne sont pas neufs. Ils ont toujours occupé une position critique dans l ‘imaginaire jihadiste, qui considère que l’affaissement de la civilisation islamique a commencé lorsque les musulmans se sont éloignés de leur religion et que seul un retour vers elle pourra venir à bout de leurs maux. La disgrâce des Occidentaux et de ses alliés et aussi morale, assimilée à l’homosexualité, à la pornographie, à l’individualisme et au matérialisme. Ces questions ne sont d’ailleurs pas spécifiques à l’islam. Le père du jihadisme contemporain, l’Égyptien Sayyid Qutb, évoquait dans les années 1950 son dégoût envers les mœurs occidentales. L’État islamique l’a suivi sur cette voie en soutenant que pour que l’islam renoue avec la gloire, il lui faut « terroriser les mécréants » et « jeter l’effroi dans leur cœur » (Dar al-Islam 9 : 21). (pp. 99-100)