Depuis des mois, je croyais que c'était la procréation médicalement assistée qui était difficile. Renoncer à l'arrivée naturelle d'un bébé. Accepter les étapes médicales. Mettre mon corps à l'épreuve. Le voir changer. Adapter notre couple aux difficultés. Connaître des échecs. Se jouer des pressions sociales. Nous plier à un calendrier plus long, plus douloureux que prévu. Un an. Deux ans. Trois. Autant de dimensions de la PMA découverts pas à pas et que nous nous sommes appropriés, Aurélien et moi. Chaque défi avait ses contours, ses pistes de solutions. Je m'aperçois à présent que la difficulté n'est pas la PMA elle-même. La PMA agit comme un leurre. La vraie douleur, c'est l'absence, sans cesse renouvelée, d'enfant. Et quand on découvre que cette absence pourrait durer toute la vie. Le problème n'est pas la procréation médicalement assistée, mais ses échecs. Jusqu'au dernier.
Je me dis que si on demandait à cent personnes d'indiquer la partie du corps où elles aimeraient le moins être piquées par cette seringue qu'est en train de remplir le professeur Lange, je suis prête à parier que 98 % d'entre elles indiqueraient : l'intérieur de leur sexe. Les deux derniers pour cent étant sans doute ceux et celles qui n'auraient même pas envisagé cette option.
"Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, répète-t-elle doucement, mais tu sais, j'ai vu que tu mangeais souvent tes pêches sans enlever leur peau..." - interdite, je lève la tête -, "et je me suis dit, quand Aurélien m'a parlé, que vos problèmes venaient peut-être aussi de là." Un temps, puis : "Les pesticides, tu sais, c'est une véritable plaie. Alors peut-être que si tu enlevais la peau des pêches, et de tous les fruits, d'ailleurs, peut-être que cela vous aiderait?"
On parle de procréation médicalement assistée quand cela fonctionne. Sinon, il n'y a pas de procréation. Il n'y a que des deuils successifs.
Les parents sont majoritaires. Souvent sans se poser de questions. Pourquoi s'en poseraient-ils? Quand on respire sans difficulté, on ne sait pas que l'on respire. Respirer ne devient conscient, douloureux, qu'en cas de problème. Or, en la matière : les problèmes existent. Dans le monde, selon certaines études, près d'un couple sur sept serait confronté à l'infertilité. Dans 10 à 25% des cas, celle-ci n'est attribuable à aucun des deux partenaires.
Aujourd'hui, j'ai honte du sentiment d'invincibilité qui m'habitait alors. Je n'avais aucun doute. Pourquoi en aurais-je eu? Je ne connaissais l'infertilité que de nom. Pas plus qu'une ombre sur un mur.
De cela, je sais avoir été en colère. Pourquoi ne m'avait-on pas prévenue? Comment avais-je pu vivre si longtemps dans la méconnaissance d'une réalité qui était partout? Où se trouvaient les femmes qui auraient pu me parler? Pourquoi un tel silence?
Sans doute suis-je arrivée à ce stade du processus où l'épuisement fragilise les résistances. La machine s'enraye. "Tu as parlé dans ton sommeil", m'a raconté Aurélien quelques heures plus tôt. Mon mari a son visage des matins gris. Il finit par admettre m'avoir entendue prononcer à voix basse dans le noir de la chambre : "Je n'ai plus qu'à m'asseoir et à attendre la mort."