Mary Shelley : Au-delà de Frankenstein

Lire, ne l'oublions pas, c'est écouter en silence le langage d'un autre. C'est communiquer d'esprit à esprit, sans craindre les divers brouillages que véhiculent le réel, la présence, la voix de l'autre ou l'histoire que l'on peut avoir formée avec lui.

Tout dire et pourtant, ne rien dire de l'essentiel : tel est le paradoxe de l'écriture.

Toute personne ayant écrit un jour avec l'intention d'être lue vous le dira : les mots écrits ne disent jamais vraiment ce qu'on veut leur faire dire. Jamais.

Toute sa vie, Mary Shelley protestera de son amour pour ceux qu'elle aime, mais cela ne l'empêchera jamais de partir, de s'arracher à eux ou de cesser de les accompagner quand elle se sentira réellement mise en danger par le lien qui l'unit à eux. Par amour, elle serait souvent prête, si elle ne résistait pas de toutes ses forces, à les suivre sur des chemins qui lui sont par trop étrangers. Arc-boutée sur le frêle esquif de sa vérité, plante aussi torturée qu'un sarment de vigne mais solidement ancrée au sol, Mary Shelley est un modèle d'entêtement à vivre dans un univers balayé par les pulsions de mort.

Comment chanter la force de l'amour quand les forces de la mort ont tout emporté ?

Les livres lui parlent d'un temps qui n'est plus, avec des voix qui depuis longtemps se sont tues. Elle apprend d'eux que, pour s'enraciner au monde, paradoxalement, il faut semer des mots dans l'esprit de ses contemporains afin que leur écho parvienne aux temps futurs.

Dans son œuvre [Percy B. Shelley], il fait un pari qui est déjà en soi une profession de foi : il en appelle à la raison des hommes par le biais de la poésie, la moins raisonnable des disciplines littéraires.

Chez lui [William Godwin], ce goût des livres était très ancien : "Lorsque j'étais jeune garçon, je me souviens avoir regardé avec terreur s'étendre devant moi le vaste champ de la vie humaine et avoir dit : quand j'aurai lu tous les livres qui ont été écrits, qu'est-ce que je ferai après ?"
Apparemment, la réponse de l'adulte avait été : "J'écrirai."

(...) l'esprit de l'enfant peut se nourrir de tout.

Contrairement à leurs prédécesseurs, philosophes, moralistes, rationalistes, encyclopédistes, les écrivains romantiques ne tirent aucune leçon de la vie : ils l'expriment.