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Critique de MasterBook


La France d'aujourd'hui offre-t-elle à l'ouvrier une vie si différente de celle de l'esclave d'autrefois ? Derrière les apparences civilisées de la modernité, l'exploitation des travailleurs n'est-elle pas toujours aussi féroce ? Dans le modèle de « nation entreprise » en vogue actuellement, le salarié est-il encore un citoyen libre et capable d'exercer pleinement ses droits ? N'est-il toujours pas plus étroitement subordonné, aliéné, et incapable de lutter contre l'injustice, dépendant d'une entité économique toute-puissante appelée entreprise, comme l'esclave était dépendant de son maître ? Voici les problématiques qui sont présentées dans le roman Des châteaux qui brûlent.

Pascal Montville, secrétaire d'Etat est séquestré par les employés d'un abattoir placé en liquidation judiciaire. Les employés épuisés et en colère prennent alors une décision extrême, ils n'ont plus rien à perdre. Récit choral passionnant, le roman est raconté par des voix multiples. L'auteur fait résonner la totalité des points de vue sur une situation de crise, les incarne. Multiples dimensions dans lesquelles on est témoins de leurs craintes, leurs contradictions, leurs hontes, leurs pulsions de vie. L'affrontement des forces en présence donne lieu à des pouvoirs insoupçonnées. D'un optimisme à toute épreuve, Arno Bertina nous montre la puissance de l'union collective face aux inégalités de la société contemporaine.

Romancier et critique pour divers magazines, Arno Bertina nous offre une fine observation de l'actualité sociale et politique française actuelle, des défis auxquels font face les gens ordinaires, notamment la classe ouvrière. le livre décrit huit jours de la vie de la Générale Armoricaine : un abattoir placé en liquidation judiciaire. Huit jours de la vie d'hommes et de femmes qui retrouvent espoir et dignité en luttant contre les injustices. Bien qu'étant une fiction, ce récit présente avec une grande acuité les problèmes réels du monde contemporain.

Le premier mot du livre, « spontanément », caractérise les actions des protagonistes. Au cours de la lecture nous sommes témoins d'improvisations, de décisions prises à la hâte aux conséquences inattendues. Ces improvisations et cette hâte débouchent sur une situation cathartique : la prise en otage d'un secrétaire d'état, Pascal Montville, par les salariés grévistes, qui n'ont plus rien à perdre et essayent de défendre leurs droits à tout prix.

L'histoire racontée par différents personnages, permet au lecteur de comprendre le point de vue de chacun, de s'identifier, se reconnaitre et ainsi mieux imaginer les motivations et les peurs partagées par tous. L'auteur utilise un vocabulaire familier qui restitue au plus près la vie réelle, rend les personnages crédibles et le récit plus dynamique. Une grande diversité de profils, nous permet d'aller à la rencontre de personnes de la vraie vie, comme Gérard Malescese, un salarié qui dédie tout son temps au travail, Pascal Montville, un politicien ambitieux mais déçu et bien d'autres encore.

Dès les premières lignes la méfiance et le mécontentement des employés suscités par le secrétaire d'état en particulier et les hommes politiques en général transparaissent. La légèreté et l'indifférence avec laquelle ils disposent de la vie et de l'avenir de chaque individu de cette communauté les rend odieux aux yeux de tous.

Au fil de la lecture nous comprenons que Pascal Montville est un êtrepartagé, insatisfait. Ses attentes et la réalité ne correspondent pas : « J'ai réalisé que j'avais naïvement imaginé, raconte Montville, que le job venait à moi, à mes compétences ou à mes convictions, mais c'était l'inverse. Je l'avais rejoint, je me coulais dans une forme, au lieu de l'adapter à ce que je voulais ». Il finit par réaliser qu'il est lui aussi une victime de ce système. C'est la raison pour laquelle il décide à la fin du livre, lors d'une fête, de rejoindre les employés et de partager leur sort. Ce désir de s'identifier à eux, le poussera à changer la manière dont il s'habille et il ira même jusqu'à changer d'identité, il deviendra ainsi Simon-Yann Petinengo, inspirateur de la lutte…

Cet extrait du monologue de Montville témoigne de son impuissance : « Est-ce qu'on va me laisser travailler ? – Pas sûr. Est-ce qu'on veut que je travaille ? – Tant que je n'ai pas dit clairement que je ne ferai rien ». Ainsi nous comprenons que même le secrétaire d'Etat ne peut pas contrôler la situation. Il dépend des autres, il réalise leurs plans, participe aux réunions, aux rencontres, qui ont été déjà planifiées même avant son arrivée. C'est un des problèmes que pose la société actuelle : le système fonctionne, il y a des gens qui souffrent, et personne n'est jamais responsable. C'est comme si le monde était en « pilotage automatique », et que personne ne pouvait rien faire pour changer la situation.

L'auteur crée une analogie avec le Don Quichotte de Cervantes. Don Quichotte avait des visions (il voyait des géants à la place des moulins) et c'est ce qui se passe avec chacun d'entre nous : nous avons parfois des peurs irrationnelles, qui nous paralysent et qui reposent sur des illusions, des fausses interprétations. Les salariés de l'abattoir pensaient que Montville était une figure toute-puissante et inaccessible, mais ils comprendront au fil du roman, que même un secrétaire d'état est un être humain comme eux, et qu'il peut partager leurs aspirations et leur cause. Auteur d'un récit poignant et vibrant d'une lutte ouvrière, Arno Bertina nous montre qu'une résistance à la logique économique, ainsi que la mise en place d'autres alternatives sont possibles.
Lien : https://mastereditionstrasbo..
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