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3.66/5 (sur 204 notes)

Nationalité : France
Né(e) le : 12/07/1975
Biographie :

Né en 1975, Arno Bertina est un collaborateur régulier de revues, notamment "Inculte", il a consacré plusieurs études à des écrivains contemporains et écrit de nombreuses fictions radiophoniques.

Il est l’auteur de deux romans aux éditions Actes Sud, Le Dehors ou la migration des truites (2001) et Appoggio (2003), d’un récit paru sous le pseudonyme de Pietro di Vaglio La déconfite gigantale du sérieux (Lignes, 2004), d’une fiction biographique consacrée à Johnny Cash : « J'ai appris à ne pas rire du démon » (Naïve, 2006), et d'un roman foisonnant Anima motrix (Verticales, 2006). Il a aussi participé (avec François Bégaudeau et Oliver Rohe) à l’essai Une année en France (Gallimard, 2007) et à la biographie collective Une chic fille (Naïve, 2008).

Arno Bertina a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 2004-2005. À cette occasion, il a écrit avec Bastien Gallet, Ludovic Michaux et Yoan De Roeck une farce archéologique : Anastylose, Rome, -13, -9, 1942 (Fage, 2006).

C'est également à partir des photographies de Ludovic Michaux qu'il a écrit un court roman centré sur la figure d'un SDF : La borne SOS 774. C'est aussi dans la collection Collatéral qu'est paru en 2013 le court roman Numéro d'écrou 362573 qui déroule la vie de deux étrangers en situation irrégulière.

Il est aussi l'auteur d'un roman pour adolescents, Énorme, écrit à partir des photographies du collectif Tendance floue, et d'un court récit pour jeunes lecteurs, Dompter la baleine, publié en 2012.
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Source : http://www.editions-verticales.com/
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Bibliographie de Arno Bertina   (27)Voir plus


Entretien avec Arno Bertina, à propos de son ouvrage Des châteaux qui brûlent


25/09/2017

Des châteaux qui brûlent est votre sixième roman, et votre seizième livre, encore une fois très ancré dans le contemporain. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de celui-ci, et sa place dans votre bibliographie ?

Peut-être occupe-t-il une place à part. Dans Le Dehors ou la migration des truites, dans Appoggio, ou Anima Motrix, j`essayais d`user la voix du narrateur, ou celle du personnage principal, pour que des voix plus faibles puissent enfin se faire entendre, dans les interstices. Avec Des châteaux qui brûlent, j`ai voulu essayer d`inverser la perspective, et partir d`emblée d`une pluralité de voix (une douzaine en l`occurrence) et tenter de comprendre comment elles pouvaient se lier, ces voix, autour d`un désir, d`un sursaut, d`une énergie. Comment ces solitudes pouvaient devenir un groupe, un collectif.



Dès le début du texte, vous imaginez les suites d`une grève des ouvriers dans un abattoir breton placé en liquidation judiciaire. A votre avis qu`est-ce que cela permet, de fictionnaliser un moment précis de l`histoire sociale ? Avez-vous le sentiment de prendre le relais (ou plutôt le contre-pied) du traitement de ce type d`actualité par les médias ?

La littérature accueille une complexité qui ne s`exprime que très rarement ailleurs. Les quotidiens publient des articles de 5 000 ou 10 000 signes ; un roman repose sur un pari, une ambition. J`ai eu besoin de 500 000 signes pour décrire ce que j`avais en tête, ou sous les yeux – à moins, ça n`aurait plus le même sens.

Mais ce n`est pas seulement une affaire comptable ; avec le changement de format, le romancier change aussi d`outil, de lunettes. Il peut s`attacher à décrire les corps, les hésitations, les silences, passer d`un regard à un autre pour s`assurer que la scène est bien envisagée dans toutes ses significations, libérant aussi toutes les tonalités possibles – depuis l`humour le plus potache, jusqu`à la tragédie foudroyante, en passant par l`érotisme.



Comment vous est venue l`envie de centrer le récit autour de ce personnage idéaliste, le secrétaire d`Etat Pascal Montville retenu en otage dans l`usine ? Il rappelle d`ailleurs fortement un certain Arnaud Montebourg...

Deux années durant j`ai travaillé avec Oliver Rohe à une adaptation des Démons pour France Culture. Replonger dans ce chef-d`oeuvre n`aura pas été sans conséquence sur mon propre roman. Les personnages de Dostoïevski sont de grands brûlés. Je voulais que la situation (cette séquestration) mette les pensées de Pascal Montville à vif. Il est sincère mais du fait de plusieurs glissements et retournements, cette sincérité va le cramer auprès des salariés. Il est innocent, mais de manière sorcière ou tragique, les salariés de l`abattoir – toujours désignés comme responsables – ont besoin de cette innocence, pour bondir hors du rang des coupables.



Votre ouvrage présente une construction chorale, avec différents acteurs de cette grève (ouvriers, CRS, membres du gouvernement...) qui prennent tour à tour la parole pour raconter les mêmes événements selon leur point de vue. Plus on progresse dans le récit et plus les paroles rapportées par ceux-ci se télescopent, si bien que les discours forment finalement une sorte de feu d`artifice qui évoque la composition musicale - vous citez d`ailleurs les jazzmen Albert Ayler et Pierrick Pédron...

Je voulais montrer un collectif se constituant dans l`urgence, sous la pression des événements. Je voulais montrer ce que ça crée, l`enthousiasme et la poussée de l`intelligence. Mais un collectif c`est aussi parfois une énergie à la fois colossale et fragile. Un rien peut faire qu`il se désagrège. J`ai voulu montrer cela aussi, comment – sous la pression des forces de l`ordre et des manigances du gouvernement – les salariés occupant l`usine finissent par se désunir. En d`autres temps (il y a 40 ans) une telle révolte était possible. On ne s`interrogeait alors que sur les modalités et la légitimité. Aujourd`hui, assommés par 40 ans d`affirmations libérales relayées par les médias et les milieux politiques, les individus se sentent d`emblée coupables de tout, et illégitimes tout le temps. Je voulais décrire cela, pour que mon roman soit d`aujourd`hui, et non pas hors sol, ou intemporel. Je voulais décrire, nommer, les endroits du corps et de la psyché où l`idéologie fait pression sur nous au point de faire qu`on s`interdise de relever la tête, de vouloir une autre vie, une autre organisation sociale, plus respectueuse de l`humain, moins tournée vers le travail, etc.

Donc oui, vous avez raison, Archie Shepp et Pierrick Pédron ne sont pas cités pour rien ;-)



Une question très intéressante que pose Des châteaux qui brûlent pourrait se résumer ainsi : pourquoi devrait-on vivre et relater la grève, la révolte, comme quelque chose d`austère et de triste ? Ici vous proposez une lecture festive de cet événement, une poétique de l`insurrection qui se fait dans le doute oui, mais surtout dans la joie. Ce qui implique un changement de paradigme aussi bien pour les ouvriers que pour les lecteurs. Est-ce quelque chose que vous avez entrevu lors de Nuit Debout, par exemple ?

Belle question (parce que vous parlez de changement de paradigme pour les ouvriers comme pour les lecteurs). Une révolte, une insurrection, sont des moments incroyablement heureux. Soudain on jette à terre ce qui nous écrasait, nous empêchant de respirer. Le corps exulte, et pour peu que personne ne vous censure, l`esprit aussi. L`esprit s`autorise la joie. Il n`est que de voir la différence entre une manifestation organisée, encadrée, réprimée, et les manifestations sauvages – qui sont toujours des instants de liberté faramineuse, de joie, où radicalité et humour vont côte à côte. Dans les manifestations sauvages, dans les débordements, aucun camion sono pour diffuser les traditionnels "Bella Ciao", "Un jour en France", "Antisocial", j`en passe et des meilleures. Rien de ça non, et les gens peuvent donc se parler, inventer des slogans, des cris de ralliement. Cette libération de l`intelligence est un autre motif de joie, d`exultation.

Or, vous le sous-entendez, on n`y est pas habitué. Parce que les forces de répression sont désormais omniprésentes, mais aussi parce que les arts, en France, auront longtemps discuté avec le pouvoir politique sans voir que ce dernier les rendait plus sages, en imposant une unité de ton que tout contredit au quotidien. Beaucoup de repas suivant les enterrements sont des moments joyeux (on retrouve une partie de la famille pas vue depuis longtemps, on vient de frôler la mort mais on est encore en vie, c`est quelqu`un d`autre qu`elle venait prendre, etc.) mais pour tous ces repas-là, combien de repas d`enterrement joyeux dans le cinéma français, dans la littérature française ?


Dernièrement, on a beaucoup entendu parler dans les journaux télévisés de la souffrance animale au sein des abattoirs (via notamment les vidéos de l`association L214). Est-ce encore une façon pour vous de prendre le contre-pied des médias que d`aborder exclusivement l`aspect social lié à ce secteur industriel, plutôt que d`évoquer encore la fabrication de la viande ? De mettre en avant l`humain, broyé lui aussi par ces usines ?

Je voulais mettre la question sociale au premier plan, en effet. Mais j`aurais pu choisir une autre industrie. Si j`ai choisi un abattoir, et si la question animale se déploie à l`arrière-plan tout au long du roman, c`est que je voulais montrer des chaines, des liens. Les gestes que nous faisons quotidiennement ne sont pas anodins. Quand vous passez la journée à donner la mort, ce ne peut être sans conséquence sur la psyché. Sur l`estime de soi sans laquelle on ne peut vivre heureux ou équilibré. Ce lien entre les salariés et les volailles qu`ils tuent apparaît au fil du livre, tout comme le lien entre une certaine misère ouvrière européenne et la misère encore plus grande des pays en voie de développement, que souligne le Secrétaire d`Etat. C`est le mouvement de tout roman : faire apparaître des liens, rendre sensible certaines inextricabilités, la complexité des sentiments comme des réflexions. Je voulais qu`à la fin, prenant conscience de ce rapport compliqué à l`animal, les salariés basculent dans la colère en réalisant que leur indifférence à l`animal – construite, forcée – est du même ordre que celle des dirigeants ou des actionnaires qui se moquent de sauver l`usine.



Arno Bertina et ses lectures

Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?

Il y en a plusieurs mais vous n`en demandez qu`un : La Nausée de Jean-Paul Sartre.


Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?

Aucun. Mais Malcolm Lowry m`a fait peur avec Au-dessous du volcan.


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

Comment établir un tel classement ? Dans le désordre : Nouvelles de Salinger, L`Adieu aux armes d`Hemingway, La Réclusion solitaire de Tahar Ben Jelloun, Les Enfants de minuit de Salman Rushdie, Comment c`est de Samuel Beckett, j`en passe et des meilleurs.


Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

La Chartreuse de Parme de Stendhal.


Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

Les Misérables de Victor Hugo


Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

L`Homme de gingembre, de J.P. Donleavy.


Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?

Je me suis ennuyé en lisant Le Maître et Marguerite. de Mikhaïl Boulgakov.


Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?

« Ne devenons pas sérieux mon fils ; ce serait le comble du malheur » (Albert Cossery).


Et en ce moment que lisez-vous ?

Genove, villes épuisées de Benoît Vincent (éditions Othello).



Découvrez Des châteaux qui brûlent d`Arno Bertina aux éditions Verticales :





Entretien réalisé par Nicolas Hecht.


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Dès 19 heures ce lundi 13 mars, retrouvez notre émission spéciale sur le mouvement contre la réforme des retraites, face à l'intransigeance du pouvoir. Plus d'une trentaine de personnalités s'exprimeront sur les causes et les risques de cette attitude, à l'orée d'une semaine décisive. Des mobilisations historiques contre la réforme des retraites se succèdent depuis maintenant plusieurs semaines, et il ne se passe rien. Ou plutôt : Emmanuel Macron et son gouvernement ne consentent ni dialogue, ni compromis à la hauteur de cette contestation massive, qui traverse les sensibilités politiques, les générations et les catégories sociales. Illustration 1 Comment comprendre ce déni démocratique ? Comment le vivent celles et ceux qui partagent le refus de cette réforme, l'expriment dans la rue, et le portent en tant que responsables politiques et syndicaux ? Quelle issue à cette impasse qui heurte et interroge ? Voilà les questions que la rédaction de Mediapart posera aux travailleuses et travailleurs, et aux nombreuses personnalités du monde syndical, politique, intellectuel et artistique qui interviendront lors d'une soirée spéciale en direct et au coeur de notre rédaction, ce lundi 13 mars, à partir de 19 heures. Cette émission aura lieu au seuil d'une semaine décisive, avec une nouvelle journée de mobilisations et le vote final de la loi par l'Assemblée nationale et le Sénat... à moins que le pouvoir n'aille encore plus loin dans sa stratégie du passage en force, en usant du 49-3. Se succèderont sur notre plateau près de quarante invité·es : Philippe Martinez, François Hommeril, Yvan Ricordeau, Annick Coupé, Caroline de Haas, Michèle Riot-Sarcey, Jérôme Guedj, Aurélie Trouvé, Michaël Zemmour, Valérie Damidot, Sylvie Kimissa, Mouloud Sahraoui, Yann le Lann, Vincent Jarousseau, Arno Bertina, Lucie Pinson, Yanis Khames, Geneviève Fraisse, Manès Nadel, Rachel Keke, Youlie Yamamoto, Anne-Cécile Mailfert, Isabelle Pettier, Yanis Khames, Adrien Cornet, Simon Duteil, Pascale Coton, Karel Yon, Éléonore Schmitt, Sylvain Chevalier, Benoît Teste, Sophie Binet, Cyrielle Chatelain, Aurore Lalucq, Jean-Michel Remande, Mimosa Effe, Agnès Aoudai, Djamel Benotmane. #Retraites #réformedesretraites #grève https://www.mediapart.fr/journal/international/210223/un-de-guerre-en-ukraine-l-emission-speciale-de-mediapart#at_medium=custom7&at_campaign=1047 Mediapart n'a qu'une seule ressource financière: l'argent issu de ses abonnements. Pas d'actionnaire milliardaire, pas de publicités, pas de subventions de l'État, pas d'argent versé par Google, Amazon, Facebook… L'indépendance, totale, incontestable, est à ce prix. Pour nous aider à enrichir notre production vidéo, soutenez-nous en vous abonnant à partir de 1 euro (https://abo.mediapart.fr/abonnement/decouverte#at_medium=custom7&at_campaign=1050). Si vous êtes déjà abonné·e ou que vous souhaitez nous soutenir autrement, vous avez un autre moyen d'agir: le don https://donorbox.org/mediapart?default_interval=o#at_medium=custom7&at_campaign=1050

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Pourquoi travailler la nuit quand on sait tout ce que cela détruit, à côté, dès qu'on n'est plus synchrone avec sa compagne ou son compagnon, avec ses amis, et ses enfants ?

— Parce que la nuit était mieux payée que le jour. Quand t'es intérimaire, t'es précaire comme pas possible... Je vous ai dit : mes contrats étaient renouvelés, ou non, tous les vendredis. La logique pour nous c'est de travailler le plus possible pour gagner le plus d'argent possible, comme ça on a l'impression d'éloigner de nous, un peu, la violence que ça s'rait la fin du contrat. C'est un cercle vicieux. Si tu gagnes 1000 euros par mois en travaillant dans la journée, celui qui embauche le soir et travaille la nuit gagne à peu près 1350 euros. La différence est de cet ordre.

Je demande à Stéphane si ces 350 euros supplémentaires sont le prix de la vie sociale et amoureuse qu'il pourrait avoir en travaillant de jour, mais ni lui ni moi ne pouvons répondre à cette question. Ce silence est à la fois beau et déstabilisant.

— C'est en tout cas la seule façon de répondre au stress de la précarité.
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Les grands groupes industriels ont des comptes à rendre à leurs actionnaires. Quelle que soit la conjoncture, ils doivent pouvoir annoncer qu'ils leur verseront plusieurs millions. Même si ça n'est pas le moment, même si dix jours plus tôt l'Etat aura versé une aide faramineuse à l'entreprise, via le CICE[Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi], par exemple. Ils le feront malgré la tempête médiatique bien prévisible, ou l'immoralité de la chose. L'arrogance est là: quand les entreprises du CAC40 se disent « Ce sera mal vu par les baveux mais nous allons tout de même verser de beaux dividendes car nos actionnaires se féliciteront d'avoir placé leur argent dans une entreprise indifférente à tous ces cris ».

Pages 87-88, Verticales.
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PSE signifiant « plan de sauvegarde de l'emploi», nous nous trouvons face à un bijou de la langue managériale créolisée par les tenants de l'ordre social (Arrondir les angles, émousser les mots qui disent trop nettement la réalité, les travailler jusqu'à ce qu'on entende « emplois sauvés » en lieu et place de « licenciements »). Licencier pour sauver l'emploi ! Vider l'entreprise de ses forces vives pour qu'elle se relance... Molière ne s'est pas assez moqué des médecins qui saignaient les malades pour les remettre sur pied s'il se trouve des entrepreneurs-diafoirus pour vendre encore cette méthode !

Page 52, Verticales.
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Au lendemain de mai 1968 Peugeot va recruter d'anciens responsables de l'OAS, un ancien de l'attentat du Petit-Clamart, etc., de façon à briser dans l'œuf chaque départ de grève. Soit des nervis, des barbouzes ou des milices privées, pour garder le contrôle des ateliers, casser du syndicaliste et empêcher que le feu ne prenne ici ou là. Parfois les entreprises donnèrent à ces gros bras un semblant de statut au sein de l'usine en les embauchant et en les chargeant de monter des syndicats fantoches, mais ils pouvaient aussi bien affronter physiquement ceux de la CGT lorsqu'ils tractaient ou lorsqu'ils se réunissaient. Jusqu'aux années 80, les rubriques des faits divers et les mémoires de tel ou tel vont regorger de crimes et de délits imputables à ces briseurs de grèves.

Page 76, Verticales.
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J'écris ces lignes au moment où les Gilets jaunes perdent des mains, des yeux ; au moment où des femmes et des hommes continuent de manifester malgré l'ultraviolence de la police, de la gendarmerie et du gouvernement; au moment où, les Gilets jaunes demandant une plus grande justice fiscale, la secrétaire d'État à la Cohésion des territoires propose que l'impôt sur le revenu soit élargi aux ménages qui, gagnant trop peu, n'étaient pas imposables jusqu'à présent, ou parce qu'ils n'ont que les aides sociales pour vivre. Faire payer les pauvres après avoir dispensé les grandes fortunes de participer à l'effort national (en supprimant I'ISF), quelle idée géniale — c'est Jarry retrouvé, ou c'est Ubu, le roi cruel et vulgaire («Si vous pouvez vous plaindre c'est que vous n'avez pas encore assez mal »), ou c'est Molière t0Ut aussi bien :

MARTINE : J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras.

SGANARELLE : Mets-les à terre.

MARTINE : Qui me demandent à toute heure du pain.

SGANARELLE : Donne-leur le fouet. Quand j'ai bien bu, et bien mangé, je veux que tout le monde soit saoul dans ma maison 1.

Pages 144-145, Verticales.
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Si ce n'est pas une affaire d'argent, alors la lutte des classes est une réalité — depuis la chute du mur de Berlin on essaie de nous faire croire qu'elle relève de la paranoïa; depuis la réunification de la RFA et de la RDA le capitalisme est sans dehors, en apparence, sans ailleurs ou sans frontière; et au cours des vingt années qui ont suivi on ne nous a parlé que de la classe moyenne — qui aurait pris d'un côté aux grands bourgeois, et de l'autre aux prolétaires. Mais ce rêve doucereux n'a pas tenu le temps d'une génération; l'Allemagne de 2017 a 13 millions d'habitants sous le seuil de pauvreté, et seulement 2,5 millions de chômeurs — voici l'horizon du salarié européen : avoir un travail déclaré mais vivre tout de même sous le seuil de pauvreté.

Page 102, Verticales.
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Quand on parle de l'attachement de tel ou tel à son travail, c'est toujours sans se risquer à justifier ce lien (paradoxal) à un système de contraintes – il faudrait pourtant argumenter : c'est quoi cette fierté qui contrebalance un peu le désir de liberté ou la contestation du travail salarié comme système coercitif (l'exploitation de l'homme par l'homme) ? En écoutant Yann et les autres je touche du doigt l'explication : ce n'est pas un placebo, ou le simple fait d'être accepté par d'autres, au sein d'un groupe, mais bien la joie de se montrer intelligent — à ses propres yeux déjà. Dans cette usine comme ailleurs, ils sont nombreux à avoir quitté le système scolaire avec un CAP ou un BEP, à vivre avec l'idée, exprimée ou enterrée, qu'ils n'ont pas réussi, scolairement, n'ayant pas tous le bac, etc. (Quand je vais dire, plus tard, à Yann, qu'il est très intelligent, il va se défausser et transmettre la patate chaude à ses collègues : « Vous pensez qu'j'suis intelligent ?! » Si l'on s'est construit sans être valorisé à cet endroit précis de sa personne...) Voilà ce que ramasse le mot « fierté » : la surprise et la joie de s'être sorti d'une situation nécessitant de l'intelligence plutôt que des réflexes ou du courage ou de la force. Se découvrir créatif.

Pages 30-31, Verticales.
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En France, dès les années 80, cette individualisation de l'inscription sociale a trouvé sa traduction dans le champ politique sous le nom de « lepénisation des esprits». Le Medef et l'ex-FN ont en effet toujours tiré dans le même sens; dans le temps où les forces de l'ordre parvenaient à substituer à la grille de lecture sociale des critères identitaires (diviser les ouvriers en Français et en étrangers, en catholiques et en musulmans), le Medef obtenait le même résultat sur le terrain social : en multipliant les points de précarité il nourrissait la guerre des ouvriers entre eux, des usines entre elles. Prêchant la division, il obtenait le calme, etc. Dans le temps où l'ex-FN disait « Ce Maghrébin aura ton job le Medef disait «Accepte cette baisse de salaire ou je déménage ton usine aux Philippines », etc. Dans les deux cas l'étranger devient l'ennemi.

Page 80, Verticales.
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À compter des années 80 on nous a expliqué que les Trente Glorieuses étaient notre dernier grand récit collectif. Cette aventure-là étant terminée, elle entraînait dans la mort, avec elle, tous les récits collectifs qui lui étaient liés — au nombre desquels le syndicalisme, censé veiller à la redistribution des fruits de cette croissance. Mais l'activité syndicale n'étant pas apparue avec la croissance, elle en était indépendante et la mort de l'une n'aurait pas dû abîmer l'autre, ou la ringardiser — en bonne logique. On en a pourtant profité pour décréter la mort du syndicalisme et de ses visées sociales. Un exemple de cette atrophie des discours collectifs: l'expression « plein-emploi» n'est plus du tout utilisée, elle sonne comme un vieux piano désaccordé. Plus aucun élu ou candidat ne l'utilise. Ils ont tous renoncé à ce projet de société. Les forces de l'ordre ont besoin du chômage de masse, qui crée l'inquiétude, l'insécurité mentale, la précarité matérielle et spirituelle ou psychologique. Quand tu trembles comme une feuille, tu n'es plus en état de combattre (la direction). La guerre de tous contre tous a été entérinée.

Pages 79-80, Verticales
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— Avec Wagon Automotive et les fonds de pension qui étaient derrière, on a découvert la politique du citron pressé. On presse le fruit et quand il ne reste plus que la peau, on la jette ; d'autres arrivent derrière qui la ramassent et réussissent à en tirer des bénéfices supplémentaires — en demandant des aides locales, ou du gouvernement, qu'ils obtiennent en récitant toujours le même texte : ils sont de bonne foi, ils ont un projet, etc. Ces entreprises-là, évidemment, elles n'investissent jamais dans la boîte: elles veulent faire de l'argent immédiatement, et deux ans plus tard il n'y a plus personne. Partis sans laisser d'adresse en quelque sorte. C'est pour ça qu'on peut nous dire, aujourd'hui : "Votre outil de travail est vieux, des investissements devaient être faits." Est-ce qu'ils ont été de notre ressort, ces investissements ? Ne serait-ce qu'un jour, une heure? Non, jamais. Implicitement on fait de nous les responsables de la catastrophe alors que c'était aux pouvoirs publics de conditionner les aides qu'ils distribuent à l'investissement d'une bonne partie de cet argent dans l'entreprise. Au lieu de ça, les pouvoirs publics laissent les actionnaires se gaver. C'est scandaleux car c'est de l'argent public, qui devrait retourner à la communauté, au lieu d'atterrir dans les poches de deux ou trois bandits.

Page 40, Verticales.
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