C'est en 1532 que se décide, semble-t-il, le destin canadien de Jacques Cartier. Parent du procureur fiscal de l'abbaye du Mont Saint-Michel, il est, cette année-là, présenté a François Ier, qui accomplit un pèlerinage au célèbre sanctuaire, par l'évêque Jean Le Veneur, abbé du Mont et Grand Aumônier de France, qui assure au roi qu'en « considération de ses voyages en Brésil et en Terre-Neuve », le pilote malouin mérite qu'on se fie a lui pour « conduire des navires a la découverte de terres neuves dans le nouveau monde ». Le Veneur appuie sa recommandation de l'offre de subvenir partiellement, s'il le faut, aux frais de l'expédition.
Il est á peine paradoxal d'écrire que Jacques Cartier (1491-1557) est, pour l'essentiel, une invention du XIXe siècle : portraits présumes, biographies, célébrations commémoratives, éditions de récits dont il apparait comme l'auteur et le héros. Secondé par les acquis et les exigences de la science philologique, l'intérêt porté par cette époque aux grandes individualités des siècles passés s'accorde encore avec la nécessité politique, pour la Confédération canadienne qui se constitue, de se doter d'une galerie d'ancêtres prestigieux, de figures historiques disponibles pour l'amplification héroïque. Inséparables de l'effort pour planter une autre France sur le sol américain et compromises par son échec, les « relations du capitaine Cartier », écrits oubliés, puis retrouvés, accèdent au statut de textes fondateurs d'une histoire et d'une culture.