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Critique de Kirzy


1er janvier 1557. le peintre Jacopo da Pontormo a été retrouvé assassiné «  un ciseau fiché dans le coeur » au pied de la fresque sur laquelle il travaillait dans la chapelle majeure de San Lorenzo, au service du duc de Florence. Celui-ci confie l'enquête à son homme à tout faire, Giorgio Vasari ( peintre, architecte, historien de l'art ).

Qui a tué Pontormo ? Laurent Binet reprend les codes du classique whodunit et s'amuse comme un fou dans ce savoureux jeu de dupes : tout le monde est suspect, avec un large spectre sociologique allant de l'ouvrier broyeur de couleurs protomarxiste à la rigoriste dévote duchesse, en passant par une floppée de peintres à l'affût de reconnaissance et même, un improbable duo de nonnes savonarolistes abhorrant ces derniers, « sodomistes dégénérés aux moeurs bestiales dont l'âme doit rôtir en enfer ».

Et il s'amuse d'emblée avec une délectable préface, pastiche stendahlien de celle de la Duchesse de Palliano. Et puis, c'est parti pour un polar épistolaire composé de 176 lettres datées du 1er janvier 1557 au 10 août 1558. Rien de moins qu'une vingtaine d'épistoliers qui s'écrivent comme on le fait aujourd'hui sur un groupe WhatsApp, non-stop … procédé idéal pour démultiplier les narrateurs et donc les versions des faits, ce qui place le lecteur direct au centre de l'enquête car il sait qu'il ne peut faire confiance à personne, que derrière le « je » de chaque épistolier peut se cacher un mensonge. Chaque lettre est remplie de chausse-trappes, de conspirations, d'intrigues, de ruses et d'alliances cachées.

On se régale à chercher le coupable dans une Renaissance italienne propice à stimuler l'imagination. Laurent Binet reprend la méthode Alexandre Dumas concevant ses Trois mousquetaires : intégrer son récit dans le contexte historique réel, puis s'insérer dans ses silences pour construire une histoire fictive la plus plausible possible à partir de personnages quasi tous historiques.

C'est très érudit mais sans qu'on voit les coutures. On apprend plein de choses, l'air de rien, sur l'époque : la onzième des guerres italiennes, un pape Paul IV ancien inquisiteur s'alliant aux Français contre les Habsbourgs d'Espagne, une Catherine de Médicis qui rêve de reprendre le duché de Florence des mains de son cousin en s'alliant avec le républicain Strozzi. Et une Contre-Réforme catholique rigoriste et prude condamnant la nudité en peinture au point que Michel-Ange galère à imposer ses fresque de la Chapelle Sixtine.

Les protagonistes épistoliers sont tous excellemment campés, avec un humour souvent ironique voire cynique qui fait mouche. J'ai particulièrement adoré la correspondance très Liaisons dangereuses entre Maria de Médicis ( fille du duc de Florence, pauvre pion naïvement amoureux à la Cécile de Volanges ) et sa machiavélique cousine Catherine, version royale de Mme de Merteuil ). Et évidemment, le truculent orfèvre sculpteur Benvenuto Cellini, aventurier à la Casanova qui traverse les lettres avec un aplomb et un sens de la survie assez exceptionnel.

Bref, je me suis éclatée avec ce divertissement érudit haut de gamme. Et me serais encore plus régalée si l'auteur avait singularisé les façons d'écrire des épistoliers. le narrateur de la préface le dit bien ( il a retrouvé cette liasse de lettres chez un brocanteur d'Arezzo et les a lui-même traduite du toscan, s'excusant à l'avance tournures choisies ), cela aurait été encore plus savoureux si le duc de Florence ne s'exprimait pas de la même manière que l'ouvrier artisan ou la candide jeune fille de dix-sept de la même façon qu'une vieille nonne se prenant pour sainte Catherine de Sienne.


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