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Critique de Malaura


Nous sommes à Buenos Aires en 1927 et cheminons au côté d'Emilio Gauna, un jeune garçon qui a invité ses amis au Carnaval pour dépenser avec lui les 1000 pesos qu'il a gagnés aux courses.
Trois jours de Carnaval au terme desquels Emilio va vivre une expérience mystérieuse dont il ne conserve aucun souvenir précis, hormis quelques fugaces et vagues images qu'il n'arrive pas relier les unes aux autres.
Trois jours et trois nuits de fête, de beuverie et d'errance, de déambulations au milieu des chars dans les rues de Buenos Aires, de souvenirs qui se chevauchent, se télescopent et se confondent : une jeune danseuse masquée dont il s'éprend instantanément, un cheval vacillant, un violoniste aveugle, le reflet argenté d'un couteau sous le couvert des arbres, une perte de connaissance et un réveil au bord d'un lac, dans une cabane de loueurs de bateaux…Auréolé de l'image confuse et resplendissante de la jeune fille masquée, l'ensemble est doté d'une impression de merveilleux et du sentiment prégnant d'avoir vécu quelque chose d'extraordinaire, mais quoi ?
Emilio n'arrive pas à s'en souvenir, tout se noie dans la brume de son esprit, il ne lui reste que des visions de songes revêtues de magie et d'onirisme mais il lui est impossible de reconstituer le déroulement exact de ces trois nuits, ni de retrouver la valeur véritable de ces prodigieux instants.
Cet évènement va le changer à jamais et son existence en être irrémédiablement affectée. Rechercher et retrouver cette « expérience magique, obtenue et perdue » devient pendant les années suivantes, son obsession quotidienne.

La vie d'Emilio reprend en apparence son cours normal, le récit nous en fait la minutieuse narration, le reste du roman se déroulant ainsi au rythme de la vie simple et anodine que mène le jeune garçon, au gré des doutes et des aspirations propres à son jeune âge. Seul l'amour qu'il voue à Clara, avec laquelle il se marie, colore un peu l'existence de ce jeune homme posé et réfléchi qui a tendance à passer ses émotions à la moulinette de son esprit, faisant preuve à la fois d'une maturité d'homme et à la fois d'une peur jalouse d'enfant apeuré.
Malgré tout, l'évènement exceptionnel reste gravé en lui. Aussi, quand trois ans plus tard il gagne de nouveau aux courses pendant le Carnaval, Emilio ne voit-il en sa chance qu'une seule interprétation possible. Il lui faut employer l'argent gagné comme en 1927, sortir avec les mêmes amis, refaire le même itinéraire, parcourir les même lieux, afin de retrouver les révélations perdues et ainsi « atteindre ce qui avait constitué, comme dans l'extase d'un rêve oublié, le paroxysme de sa propre vie ».

Le mystère enveloppant cette aventure, qu'Emilio s'applique à croire merveilleuse, est le coeur palpitant du roman.
Dilué dans l'humble quotidien du jeune homme et dans la réalité sociale du pays, il agit comme un élément fantastique et surnaturel, offrant au roman toutes les caractéristiques du « réalisme magique » cher aux écrivains latino-américains.
Le grand ami de Jorge Luis Borges et célèbre auteur de « L'invention de Morel », l'écrivain argentin Adolfo Bioy Casares (1914-1999), suggère plus qu'il n'impose dans cet étrange et singulier roman.
Le fantastique est ici totalement diffus, volontairement imprécis et flou, prenant la forme d'une énigme métaphysique qui viendra subitement éclairer le texte lors de la révélation finale.
Le lecteur, en proie jusqu'alors à des impressions contrastées, navigant entre attrait et détachement le long d'un récit intrigant mais pas véritablement captivant, s'en trouve brusquement dérouté.
Questionnements métaphysiques et réflexions philosophiques s'ingèrent dans la pensée au terme même de la lecture. Ainsi, dans la façon habile et singulière de l'auteur à mener son récit, quelque chose continue à vivre une fois le livre refermé, laissant une trace légère, comme de petit pas sur le sable mouillé, comme les dernières répercussions d'une fin d'écho.
Ce quelque chose, c'est le pouvoir de l'imagination sur la connaissance anticipée du futur, c'est la vision resplendissante et magique de l'autre bord, c'est la recherche de l'instant différé de la mort, c'est le songe des héros par lequel Emilio Gauna reprend le cours de son destin qu'il avait entrevu une nuit de 1927 au Carnaval de Buenos Aires…
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