Tout d’abord, l’expérience n’est pas un objet. L’objet est une entité supposée exister par-delà les situations, les états subjectifs et l’être-présent. Au contraire, l’expérience consciente est située, elle est ce que cela fait d’être en ce moment. L’expérience n’est pas davantage une propriété, puisque, au lieu de l’attribuer à nos interlocuteurs après avoir cherché (en vain) à prouver qu’ils en ont une, nous nous contentons de la présupposer dans une coprésence empathique. Enfin, l’expérience n’est pas un phénomène, car celui-ci ne se spécifie pas mieux que comme une apparition au sein de l’expérience. Ainsi, l’expérience consciente n’est pas quelque chose d’isolable par une dénomination ou une prédication.
Il n'y a pas d'intervalle, pas la moindre déhiscence, entre l'expérience et tout ce dont il y a expérience. Encore faut-il se rendre réceptif au fait sans pareil de cette totalité.
Comment l’opacité du visible s’est-elle convertie en la limpidité du voyant ?
Comment l’impénétrabilité de ces tissus biologiques s’est-elle laissé traverser jusqu’à sembler pour ainsi dire volatilisée en une certaine région de notre propre crâne ?
Il ne suffit pas, pour en rendre compte, d’invoquer les propriétés optiques de translucidité du cristallin et de l’humeur vitrée (qui, de toute manière, s’arrêtent à la rétine). Car la transparence dont il s’agit, loin de se réduire à l’énoncé de la présence détectable des photons en deçà et au-delà de la surface de la cornée, se manifeste par une véritable absence : absence de tout objet visible là où le voyant s’origine ; absence sur fond de laquelle se détachent les existences. Il n’y a rien là où s’ouvre la disposition à voir quelque chose ; et ce rien se promène en quelque sorte parmi les choses, absolument solidaire de l’une de ces choses qu’est le corps propre ; et ce rien, avant même de se promener et de distinguer la variété des choses, se tient immobile dans la pulpe-de-chose, et se découvre comme une étonnante diaphanéité dans la masse indifférenciée, dense et ténébreuse de ce qui se présente alentour.
[…] à cet instant précis, j’ignore le détail de ce que je vais écrire à la ligne suivante au-delà de quelques mots (ça s’écrit, j’évalue si les phrases affichées concordent ou non avec un sentiment vague de projection puis d’adéquation que j’appelle rétrospectivement « mon intention », et je déclenche ensuite un processus de correction récursif si le texte s’écarte de l’intention formulée).
Sur un plan cognitif, le schizophrène souffre d’un défaut d’agentivité ; autrement dit, il ne se perçoit pas comme agent de ses propres actes ou de ses propres pensées, mais comme manipulé, commenté, ou observé par quelqu’un d’autre.