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Critique de Nanne


En mettant en exergue ces vers de "L'Homme qui rit" de Victor Hugo, le ton de ce petit conte cruel est donné. Si le rire est une thérapie pour désamorcer une situation préoccupante, il peut aussi être ironique, méprisant, méchant, sardonique, sarcastique. le rire se transforme, dès lors, en un rictus effroyable.

Juin 1938. Clinique Münstall. Il y a là Wolf qui compte toute la journée. Il compte, recompte et décompte. Cent fois, mille fois, il remet les compteurs à zéro dès qu'il a atteint son objectif chiffré. Il compte les pas, les arbres, les cachets, les mots. Tout ce qui passe à sa portée est inventorié, comptabilisé. C'est une obsession dont il ne peut se défaire. Wolf s'est noyé dans les nombres, son esprit est encombré d'unités, de quantités infinies, de séries, d'abstractions, de pairs et d'impairs, de divisibles et d'indivisibles. Son âme est définitivement engloutie, submergée. Seuls, importent les chiffres. Il y a aussi Reinhardt, celui qui passe son temps à chaparder la blouse du médecin. Il joue au docteur avec les autres patients. Il a besoin d'être quelqu'un d'autre que lui. Dès qu'il aperçoit un uniforme, il n'a qu'un désir, s'en emparer pour le porter. Et puis, il y a le journaliste, venu à la clinique pour réaliser un reportage. Il est venu avec sa petite valise et se demande bien pourquoi, vu qu'il n'est là que pour son travail. Il n'est pas malade, lui. Il est différent des autres. Les anormaux, ce sont eux. D'ailleurs, il refuse de prendre les médicaments que lui donnent Emma ou Anna, les infirmières. Lui veut juste rentrer chez lui.

Janvier 1939. Otto Kepffer, chargé de mission du nouveau gouvernement est chargé de faire appliquer la circulaire de son ministère et de regrouper les patients de la clinique Münstall dans un centre spécial plus adapté, dans le cadre d'un programme expérimental. Leur transfert doit se faire dans les meilleurs délais, avec méthode et organisation. Wolf, Reinhardt, le journaliste et tous les autres comprennent que quelque chose trame. Heureusement, le docteur Schmidt et Emma sont présents pour calmer les angoisses, pour endormir les peurs, pour tranquilliser, malgré leur tristesse apparente. Les soldats eux aussi comptent, impassibles et concentrés, occupés qu'ils sont par leur macabre besogne. de toute façon, ces individus sont la lie de la nouvelle société. Ils souillent la pureté de la race aryenne. Ce sont des êtres sans valeur.

Écrit sous la forme d'une fable cynique, "Ils ne sont pas comme nous" de Jean-Sébastien Blanck revient sur un épisode monstrueux de la 2e Guerre mondiale - qui n'a pas été avare d'événements abominables -, les expériences de gazage des malades mentaux. Cette expérimentation sur des êtres pudiquement qualifiés de différents allait ouvrir la voie, quelques années plus tard, au génocide d'autres sous-hommes - les Juifs, les Tziganes -, considérés comme tels par des individus se considérant très au-dessus de la moyenne. Saisissante allégorie sur la folie humaine, on perçoit que celle-ci ne se situe pas où on croit la trouver. La folie se trouve dans l'autre camp, celui de l'État qui a décrété l'éradication de personnes psychologiquement fragiles et qu'il aurait dû protéger, celui de la société dans sa quasi-totalité pour son silence obstiné valant un soutien tacite de cette politique infâme, celui des médecins et personnels soignants qui ont contribué à favoriser ce meurtre de masse par passivité. En 59 pages, le texte - servi par une écriture intelligente, nerveuse, au phrasé court et simple -, synthétise toute l'abomination de ce programme secret d'euthanasie des internés psychiatriques. Alternant courriers, dialogues, points de vue divers, l'auteur réussi à rendre l'atmosphère d'angoisse des patients, les non-dits du corps médical, les sentiments de gêne, de honte, de lâcheté de chacun. Conçu comme un scenario, le graphisme des photos renforce encore un peu plus cette sensation de malaise. Usant de méthodes de photomontage à la manière des anciens romans-photos de l'époque, on est impressionné par l'humanité et la normalité des fous, alors que les êtres soi-disant supérieurs apparaissent pervertis, défigurés par une idéologie qui les assimilent à la vraie folie. "Ils ne sont pas comme nous" de Jean-Sébastien Blanck ou comment raconter l'indicible de façon à la fois accessible et captivant. A mettre entre toutes les mains, sans hésitation.
Lien : http://dunlivrelautredenanne..
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