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Critique de HordeDuContrevent


« J'aime bien quand il pleut, dit-il enfin. le temps qui nous correspond bien, à nous les malades. Pluie, ciel bas, froid ; alors tu sais que tout le monde est réduit à la même chambre aux quatre murs, à la même tristesse. » Est-il possible d'écrire sur la maladie, de l'écrire bien, de l'écrire dans ses nuances, presque de manière chirurgicale, de décrire les sentiments contradictoires dont elle est à l'origine, sans jamais l'avoir vécu ? Je ne pense pas. Et pour cause Max Blecher est mort à l'âge de 28 ans de la maladie de Pott après dix années de terribles souffrances, durant lesquelles il a fréquenté des sanatoriums tel celui de Berck-sur-mer, tout comme Emmanuel, le personnage principal de « Coeurs cicatrisés », roman roumain paru en 1937. Emmanuel souffre de la même maladie que lui. C'est un roman autobiographique. Et cela change complètement notre lecture. Elle en devient terriblement poignante.

La maladie de Pott est une infection aux vertèbres due au bacille de la tuberculose osseuse qui oblige les malades à se faire plâtrés afin d'être complètement immobilisés, comme dans un cercueil. Au sein de ce sanatorium de bord de mer, les malades circulent donc dans des carrosses attelés à des chevaux, cortèges funèbres. Les odeurs de médicaments, de désinfectants, parfois même de putréfaction s'entremêlent à celles de la plage, de l'océan. Les douleurs et les angoisses liées la maladie s'entrelacent avec l'amitié et même l'amour pour Solange qu'Emmanuel ressent. Union de la maladie, de la mort et de la vie. de l'angoisse et de l'espoir.
Même les paysages semblent contenir cette angoisse obsédante du corps et de la maladie : «Dans cette baie, l'océan se retirait, pour laisser derrière lui des milliers de petites rigoles remplies d'eau, creusées profondément dans le sable. le crépuscule les incendiait de sa rougeur et alors, sur toute l'étendue, apparaissait comme un réseau de sang et de feu. On aurait dit que cet endroit de la terre avait été écorché vif, pour livrer l'intimité de sa circulation sanguine, les artères brûlantes et terribles par lesquelles l'or et la pourpre incendiaire s'écoulaient en lui. » le regard du malade concentré uniquement sur la souffrance, sur le corps au point de ne voir qu'elle dans le paysage même…au point d'en être prisonnier. Oui, les malades sont des prisonniers, des prisonniers de leurs corps, de leur souffrance, des prisonniers du temps, mais des prisonniers paradoxaux, des prisonniers de leur état, car ils en viennent à avoir peur d'en sortir, la réinsertion dans le monde valide pouvant s'avérer effrayante après des années de maladie et d'hospitalisation. La maladie peut même constituer un refuge : « – En ce qui me concerne, la maladie ne me semble pas au fond si terrible, avoua Emmanuel à Ernest, pendant qu'ils attendaient dans la chambre qu'on leur annonce l'arrivée de la charrette. J'ai toujours ressenti en moi un fond de paresse qui se trouve à présent pleinement satisfait, poursuivit-il. »


Je suis partagée par cette lecture je dois avouer. A la fois très émue par ce qu'a vécu Max Blecher, admirative de la façon dont il réussit à décrire les sentiments ambivalents des malades, partagés entre acceptation, colère, fatalité, espoir, touchée par la poésie de ce texte et par sa traduction, remarquable, en français par Gabrielle Danoux (alias Tandarica ici sur Babelio), mais aussi refroidie…Refroidie par la manière quasi chirurgicale, réaliste, tel un documentaire donc de manière un peu distante, de nous prendre en otage de cette souffrance. J'ai eu du mal à aborder la vision des vertèbres rongées, celle des abcès, du mal à l'évocation des terribles démangeaisons de la peau sous le plâtre, du mal à sentir l'odeur tantôt écoeurante tantôt douceâtre du pus qui s'écoule, verdâtre…J'ai fini la lecture mélancolique et désireuse d'en sortir au plus vite, de quitter ces descriptions minutieuses du quotidien d'un malade, car je me sentais moi-même prisonnière, ce malgré la part belle accordée à la poésie. Une lecture qui m'a à la fois étouffée et touchée. Très curieuse ambivalence. Au final je ne sais pas si j'ai aimé ce texte, très partagée, pour ne pas dire tiraillée, entre d'un côté des descriptions magnifiques de paysages, la mise en valeur des sentiments contradictoires et nuancés éprouvés par les malades, et d'un autre côté des descriptions trop précises de la maladie. Comme si je lisais un documentaire entouré de poésie. Très curieuse sensation. Sans doute me faudra-t-il du temps pour savoir ce qui me restera le plus de cette lecture : son ambiance, mélancolique, sa poésie, par moment incroyable et surréaliste, ou l'étouffoir parfois éprouvé où même la lecture, comme pour Emmanuel ne constitue pas un échappatoire : « Il s'essaya à la lecture, mais sans succès : les livres semblaient écrits pour d'autres lumières ; aucun livre au monde ne saurait combler le vide immense d'une tiède journée d'ennui et de souffrance intimes. Tel est l'inéluctable spleen des journées de maladie. »
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