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Je voudrais tout d'abord adresser un grand , très grand merci à Gabrielle Denoux , la traductrice du roman " coeurs cicatrisés " qui m'a fait l'immense plaisir de m'adresser ce roman d'un auteur roumain , Max Blecher . Cet auteur , décédé en 1938, a séjourné au sanatorium de Berck peu avant sa mort et y a situé le cadre de son ouvrage.
Le personnage principal , Emmanuel , un étudiant roumain est atteint de tuberculose osseuse et son médecin l'envoie dans un établissement sanitaire dédié de la réputée station balnéaire.En pénétrant dans cet univers , Emmanuel va quitter " son " monde d'avant pour subir un double confinement . Confinement physique puisque son corps se trouve " enfermé " dans un corset de plâtre et confinement " social " dans un milieu qui lui est inconnu , étranger et dans lequel il lui faut réapprendre " l'autonomie ", rien " que ca " .Et rien n'est facile , tout prend allure de combat : douleurs , relations sociales , espoirs , tourments , hygiène, fonctions vitales, sentiments ,sexualité....Tout est détaillé avec minutie , finesse , et l'on partage vraiment le sort de notre malheureux héros. Un " nouveau monde " , un monde d'où sont exclus " les gens en bonne santé " , ceux du monde d'avant...qui eux-mêmes ont tendance , par leurs regards , à refuser de voir...
Ce livre m'a paru extrêmement contemporain parce qu'intemporel .D'un côté le monde de la vie , de la bonne santé, de l'insouciance , du rejet , de l'aveuglement , du refus , de l'ignorance ....jusqu'à ce qu'un médecin annonce que ...Et c'est la bascule , le douloureux changement de statut, le renoncement et l'adaptation forcée . l
L'acteur devient spectateur de sa propre histoire , pas facile... .
Dans ce roman , pas de fioritures , non , des passages forts , quelques situations " potaches " , quelques belles rencontres , de l'émotion....
On sent que l'auteur " connaît " et sait rendre avec justesse des situations vécues.
Le style sert avec beaucoup de bonheur un sujet délicat, le vocabulaire employé ne laisse pas place aux atermoiements , il est direct , " brutal " , efficace .C'est là qu'intervient toute la finesse et la sensibilité de la traductrice ou du traducteur , des gens , dont , il faut bien le dire , on ignore souvent le rôle fondamental . J'en profite donc , moi, simple
lecteur , pour remercier tout particulièrement les membres de cette profession grâce à qui je peux accéder à toute la littérature étrangère.
C'est un court roman qui mérite vraiment qu'on s'y intéresse, un sujet grave , écrit par un homme décédé un an plus tard , spectateur actif de cette histoire.
Une dernière remarque : mille mercis Gabrielle , vous m'avez fait un très beau cadeau et félicitations pour votre travail remarquable.
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« J'aime bien quand il pleut, dit-il enfin. le temps qui nous correspond bien, à nous les malades. Pluie, ciel bas, froid ; alors tu sais que tout le monde est réduit à la même chambre aux quatre murs, à la même tristesse. » Est-il possible d'écrire sur la maladie, de l'écrire bien, de l'écrire dans ses nuances, presque de manière chirurgicale, de décrire les sentiments contradictoires dont elle est à l'origine, sans jamais l'avoir vécu ? Je ne pense pas. Et pour cause Max Blecher est mort à l'âge de 28 ans de la maladie de Pott après dix années de terribles souffrances, durant lesquelles il a fréquenté des sanatoriums tel celui de Berck-sur-mer, tout comme Emmanuel, le personnage principal de « Coeurs cicatrisés », roman roumain paru en 1937. Emmanuel souffre de la même maladie que lui. C'est un roman autobiographique. Et cela change complètement notre lecture. Elle en devient terriblement poignante.

La maladie de Pott est une infection aux vertèbres due au bacille de la tuberculose osseuse qui oblige les malades à se faire plâtrés afin d'être complètement immobilisés, comme dans un cercueil. Au sein de ce sanatorium de bord de mer, les malades circulent donc dans des carrosses attelés à des chevaux, cortèges funèbres. Les odeurs de médicaments, de désinfectants, parfois même de putréfaction s'entremêlent à celles de la plage, de l'océan. Les douleurs et les angoisses liées la maladie s'entrelacent avec l'amitié et même l'amour pour Solange qu'Emmanuel ressent. Union de la maladie, de la mort et de la vie. de l'angoisse et de l'espoir.
Même les paysages semblent contenir cette angoisse obsédante du corps et de la maladie : «Dans cette baie, l'océan se retirait, pour laisser derrière lui des milliers de petites rigoles remplies d'eau, creusées profondément dans le sable. le crépuscule les incendiait de sa rougeur et alors, sur toute l'étendue, apparaissait comme un réseau de sang et de feu. On aurait dit que cet endroit de la terre avait été écorché vif, pour livrer l'intimité de sa circulation sanguine, les artères brûlantes et terribles par lesquelles l'or et la pourpre incendiaire s'écoulaient en lui. » le regard du malade concentré uniquement sur la souffrance, sur le corps au point de ne voir qu'elle dans le paysage même…au point d'en être prisonnier. Oui, les malades sont des prisonniers, des prisonniers de leurs corps, de leur souffrance, des prisonniers du temps, mais des prisonniers paradoxaux, des prisonniers de leur état, car ils en viennent à avoir peur d'en sortir, la réinsertion dans le monde valide pouvant s'avérer effrayante après des années de maladie et d'hospitalisation. La maladie peut même constituer un refuge : « – En ce qui me concerne, la maladie ne me semble pas au fond si terrible, avoua Emmanuel à Ernest, pendant qu'ils attendaient dans la chambre qu'on leur annonce l'arrivée de la charrette. J'ai toujours ressenti en moi un fond de paresse qui se trouve à présent pleinement satisfait, poursuivit-il. »


Je suis partagée par cette lecture je dois avouer. A la fois très émue par ce qu'a vécu Max Blecher, admirative de la façon dont il réussit à décrire les sentiments ambivalents des malades, partagés entre acceptation, colère, fatalité, espoir, touchée par la poésie de ce texte et par sa traduction, remarquable, en français par Gabrielle Danoux (alias Tandarica ici sur Babelio), mais aussi refroidie…Refroidie par la manière quasi chirurgicale, réaliste, tel un documentaire donc de manière un peu distante, de nous prendre en otage de cette souffrance. J'ai eu du mal à aborder la vision des vertèbres rongées, celle des abcès, du mal à l'évocation des terribles démangeaisons de la peau sous le plâtre, du mal à sentir l'odeur tantôt écoeurante tantôt douceâtre du pus qui s'écoule, verdâtre…J'ai fini la lecture mélancolique et désireuse d'en sortir au plus vite, de quitter ces descriptions minutieuses du quotidien d'un malade, car je me sentais moi-même prisonnière, ce malgré la part belle accordée à la poésie. Une lecture qui m'a à la fois étouffée et touchée. Très curieuse ambivalence. Au final je ne sais pas si j'ai aimé ce texte, très partagée, pour ne pas dire tiraillée, entre d'un côté des descriptions magnifiques de paysages, la mise en valeur des sentiments contradictoires et nuancés éprouvés par les malades, et d'un autre côté des descriptions trop précises de la maladie. Comme si je lisais un documentaire entouré de poésie. Très curieuse sensation. Sans doute me faudra-t-il du temps pour savoir ce qui me restera le plus de cette lecture : son ambiance, mélancolique, sa poésie, par moment incroyable et surréaliste, ou l'étouffoir parfois éprouvé où même la lecture, comme pour Emmanuel ne constitue pas un échappatoire : « Il s'essaya à la lecture, mais sans succès : les livres semblaient écrits pour d'autres lumières ; aucun livre au monde ne saurait combler le vide immense d'une tiède journée d'ennui et de souffrance intimes. Tel est l'inéluctable spleen des journées de maladie. »
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J'aurais tellement voulu vous narrer les tribulations de ce gamin roumain , à peine sorti de l'adolescence , en route pour les chemins de France , qui rêvait de devenir un médecin reconnu et réputé dans le monde entier ; ou encore se marrer à l'écoute de ses frasques avec ses nouveaux potes , Ernest , Quitone , Tonio , Solange et bien d'autres ; et bien sûr , s'extasier devant ses galops infinis, avec son cheval bai sur les immenses plages de sable fin du Pas-de-Calais .

Mais il n'en sera rien .

Car Max Blecher nous emmène dans son monde , celui où adversité rime avec cruauté , où les épreuves physiques et morales ignorent le mot compassion .
Il incarne son propre personnage à travers Emmanuel qui , à la suite d'une radiographie apprend qu'il pourrit " du mal de Pott" , la tuberculose des os .
" Il lui manquait un morceau d'os de vertèbre ?
Mais comment avait-il pu disparaître ? Il le demanda au médecin .
_ Elle est rongée ... Rongée par les microbes , répondit le petit homme noir . "

Quel meilleur endroit que le sanatorium de Berck-sur-mer , ville à l'incroyable densité d'iode , pouvait accueillir le jeune et beau gosse pour le remettre vite sur pied .
Même Raspoutine et le Tsarivitch Alexis , hémophile , ont séjourné dans ces lieux thérapeutiques .

" Emmanuel était trop abasourdi pour songer encore à quelque chose de précis . Dans la voiture , il ne cessa de regarde par la vitre dans l'espoir d'apercevoir un de ces malades en charrette , mais sans succès .
Dans un virage , entre deux rangées de hautes maisons , surgit à l'arrière-plan la ligne azur et scintillante de l'océan , couchée dans le sable comme une claymore brûlante . "

De sa chambre simple , aussi terne que celle d'un hôtel miteux , notre pauvre héros part à la recherche de ses compagnons d'infortune , cités plus haut , qui oublient leur tragédie dans les beuveries et la bringue , corsetés aussi bien de l'esprit que du corps .
Il les côtoie assez vite pour comprendre leur atroce tourment quand vient le jour maudit où l'infirmière l'enduit de plâtre des hanches au cou .
" Dans les bassines , sur des chaises , attendaient la poussière blanche , l'au chaude et les bandelettes de tissu . ( ... ) Cette carapace le confinait hermétiquement , immobile , accable , comme écrasé par un rocher . "

L'amour et l'amitié vont l'aider à tenir le coup dont Solange et sa patience d'ange à supporter ses caprices , et Ernest , fidèle copain .
On ne peut oublier Blanchette , la jument " un animal de race normande , au poil rêche et touffu aux sabots , la crinière courte et dure comme une brosse . "
Elle remplace facilement le plus performant des mustangs lorsqu'elle tire Emmanuel et sa charrette dans les dunes en compagnie de son amoureuse du moment , Solange .

Notre patient va refuser ces obligations qui martèlent sa petite carcasse , sa vie qu'il sent finie .
Il va s'isoler de plus en plus et trouver la sérénité dans la solitude .
Trop de questions se posent à lui sur son devenir . Va-t-il , comme tant d'autres nouveaux amis , mourir si jeune lui aussi ?

Quel style riche de descriptions poétiques , réalistes , pittoresques , magiques , relevées de portraits originaux , agrémentés de personnifications d'objets .
Quel contraste avec cette malheureuse déchéance du corps et cet essor de mots riches et précis .
Une véritable complémentarité entre Max Blecher et Gabrielle Danoux qui nous apportent autant de délicatesse et d'émotion .

Je ne peux que remercier l'auteure et traductrice de ce cadeau exceptionnel dont elle m'a si gentiment honorée et qu'elle a traduit en véritable chef d'oeuvre dans la langue de Molière .

" Selon la législation française , la traduction littéraire constitue une oeuvre de l'esprit au même titre que l'écriture d'un livre nouveau . " ( lettres capitales . com )
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Berck-sur-Mer et son sanatorium de l'entre-deux-guerres.

Emmanuel, étudiant roumain, rongé par le mal de Pott, séjourne dans ce sanatorium. C'est un microcosme où les malades déambulent, allongés ou armés de béquilles pour les plus chanceux.

Momifié dans un plâtre, comme dans un cercueil, Emmanuel circule dans un carrosse attelé à un cheval. Les passants, derrière son attelage, semblent faire partie d'un cortège funèbre. Le décor livide des chambres, les odeurs de putréfaction, de produits désinfectants, le grincement de leurs gouttières roulantes, contrebalancés par les fêtes improvisées, les liens d'amitié à la mort à la vie.

La vie bouillonne malgré tout et ne demande qu'à éclater ce sarcophage de plâtre et de souffrances. L'emprisonnement de la maladie trouve un réconfort dans le paysage marin de Berck, ses longues plages et l'horizon qui se perd au loin sur un fil de ciel vivant, insouciant.
La pluie de l'automne lave les idées noires et le vent caresse l'impatience et les tourments. Quand le soleil darde ses rayons apportant une foule d'estivants, Emmanuel déserte le sanatorium pour s'isoler dans une villa au creux des dunes.

Comme un reportage sur la vie des patients atteints de tuberculose dans les sanatoriums de cette époque, ce roman nous captive. On se sent englué dans cette atmosphère de sarcophage et d'odeurs fanées. On respire le grand large avec Emmanuel pour ne pas suffoquer. On espère une guérison, une fuite hors du carcan de la maladie.

L'écriture est disséquée au scalpel, sans prendre ni gants ni masque. Seule la poésie du paysage sauve du naufrage. Aucun pathos, de la réalité romancée pour un regard sur la maladie et son difficile retour à la vie "normale". Et une traduction de Gabrielle Danoux de qualité pour nous faire découvrir cet auteur roumain emporté trop tôt par le mal de Pott.
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Coeurs cicatrisés, 1937 Max Blecher (1909-1938), traduction du roumain par Gabrielle Danoux (notre amie babéliote Tàndàricà)
"Saisissante mise en abyme : la nef des malades, arche de l'amo[u]r, qu'on pourrait tout aussi bien cartorthographier « de la mort » t'attend, toi lecteur curieux, qui ne craint pas la solitude. Que ce livre soit un viatique pour toi !", belle et sensible apostrophe rhétorique que la traductrice, Gabrielle Danoux adresse au lecteur, et qui nous invite à faire ce voyage dans l'espace de la vie et de la mort avec comme seul bagage l'amour.
Livre morsure, livre douleur et blessure, les coeurs demandent du temps pour fermer leurs plaies, pour que les cicatrices ne saignent plus et que les marques qui restent, souvenirs sans sommeil, fassent moins mal.
La cicatrisation comme reconstitution des tissus est au prix d'une insensibilité «au froid, à la chaleur et à la douleur». La mémoire n'obéit-elle pas aux lois plus « terribles » de « l'éternité » ? Explication et question en même temps. Rien n'est plus vrai et, peut-être, rien n'est moins sûr.
Quelles sont ces lois de l'éternité ? Durer ? Renaître ? Continuer ? A quel prix ? A n'importe quel prix!
Et quelles sont les lois de notre vie ? On les apprend tous les jours, sans toujours les respecter, et souvent même les oublier.
Dès le début du roman la plume de Max Blecher crée une atmosphère lourde d'une menace, d'une peur inconnue, pesant sur le héros et sur le lecteur qui devient éponge ; rythme lent, attente longue...
Le diagnostic du médecin tombe comme un coup de massue, les os d'Emmanuel sont malades, rongés par la tuberculose, la maladie de Pott ; il faut abandonner les études et aller au sanatorium, à Berk-su-Mer. L'horizon se réduit, la lumière diminue, grand vide où le poids du coeur devient assommant, plus d'air à respirer. La plume de Blecher ne s'y attarde pas, elle touche les cordes et les laisse vibrer. Elle dit le plus avec le moins.
Le roman est court, 180 pages, mais la lecture fut longue, m'ayant emprisonnée telle une toile arachnéenne, tel un poulpe aux tentacules puissants, opium aux rappels incessants vers des pages, passages, réflexions. Besoins contradictoires d'en sortir et d'y revenir, de me secouer du mal engourdissant, de revenir à la poésie, au style, aux sens de l'espace.
Voyage lent lourd et pénible dans ces multiples univers, ceux du corps et ceux d'en dehors, les espaces imposés retirés de la vie, dans la captivité, et ceux désirés, ceux qui se créent, petit à petit, sombres, mordants jusqu'à l'asphyxie, la tête se rétrécit, les poumons respirent mal, le coeur bat trop lentement.
Une radiographie secrète intime et douloureuse s'opère dans le corps malade, emprisonné, plâtré et capturé : sombres couloirs entre rêve et réalité, miroirs reflétant les autres en même temps que le handicap du malade, son impossibilité de bouger, miroirs ironiques, sarcastiques, cyniques au plus fort.
Les espaces, dans le sanatorium offrent-ils plus d'ouverture que le monde d'où les malades arrivent, où ils retournent avec des séquelles ? Les corsets deviennent des murs intérieurs, là où le vide s'installe et où l'inquiétude intérieure, profonde se rumine en silence. "oiseaux blancs qui volent de toit en toit. Ce sont nos âmes ruine et rempart". Les malades s'agrippent à la vie, souvent avec cruauté, jusqu'à s'emparer de celle des autres, un "élan que suscite parfois l'interdit" et la facture en est lourde.
Le paragraphe qui suit en dit long sur l'espace du dehors et celui du dedans, sur le clair et l'obscur et leur très relative définition :
"J'aime bien quand il pleut. le temps qui nous correspond bien, à nous les malades. Pluie, ciel bas, froid ; alors tu sais que tout le monde est réduit à la même chambre aux quatre murs, à la même tristesse. Lorsqu'il fait beau dehors... et qu'il y a du soleil, continua Ernest, tout m'apparaît alors terriblement vain et incompréhensible. Que peut bien faire un homme au milieu de la limpidité du décor ? Et même s'il avait quelque chose à faire, cela serait bien trop clair, trop évident, donc trop inintelligible. le plus troublant des mystères est peut-être celui qui surgit de la plus simple des évidences. J'aime ces journées maussades et pluvieuses, quand on s'enferme dans la maison et quand on ne comprend pas plus le monde qu'un chien battu."
Le livre m'a marquée, tiraillée, profondément touchée, l'auteur réalise un coup de maître : douleur dans l'âme et dans le corps exprimée avec un coup de bistouri tranchant avec froideur et précision. Max Blecher, emporté à 29 ans par la même maladie que son héros, s'en détache tout en la revivant, trempe sa plume dans l'encrier où il trouve envols poétiques d'une rare beauté et papier de verre P40 qui râpe le coeur jusqu'à le cicatriser.
Coeurs cicatrisés, roman qui frappe et caresse, entre le corps et l'esprit le dialogue est poignant dans la souffrance ; le corps en gros plan, l'esprit le suit en voix off ou hors champ, et les blessures, marques pour la mémoire, gardent leurs cicatrices. Oublier, fermer la mémoire, est-ce possible ?
Fugitifs d'un monde, prisonniers dans un autre, entre réel et irréel, entre vie et mort, où se situe le jeu de l'existence ? Dans la "boue" du monde les malades s'endurcissent, frémissent à des moments perdus, se débattent avec leur immense solitude intérieure, désespèrent entre fuite et recherche de soi-même. Dehors et dedans, et La poétique de l'espace de Gaston Bachelard me revient en mémoire : "Enfermé dans l'être, il faudra toujours en sortir. A peine sorti de l'être il faudra toujours y rentrer. Ainsi, dans l'être, tout est circuit, tout est détour, retour, discours, tout est chapelet de séjours, tout est refrain de couplets sans fin", jusqu'à l'épuisement.
La traduction de Gabrielle Danoux est sublime et d'un grand professionnalisme.
Je la remercie énormément de m'avoir fait découvrir la plume de Max Blecher, plume qui me fait penser, par sa puissance et son introspection, à l'écriture de Kafka, à La forêt des pendus de Liviu Rebreanu, à La 25ème heure de Virgil Gheorghiu.
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La tuberculose osseuse est une belle saloperie. Immortalisée dans ‘Il était une fois dans l'ouest' avec son magna des chemins de fer invalide se trainant vers le couchant, elle fut pendant des siècles une malédiction sans remède, condamnant ses victimes à une lente dégradation physique et une longue agonie. L'ouverture des sanatoriums permit, par extension, de commencer à s'y attaquer.

Deux vertèbres pourries. Et voila le héros de l'histoire, Emmanuel, emprisonné dans un corset de plâtre pour de longs mois, dans un établissement au bord de la mer du Nord. Allongé dans une civière toute la journée, des dispositifs ingénieux lui permettent de se déplacer et d'avoir un semblant d'indépendance. Il y a là un petit monde de malades, de blessés, de mutilés. Des amitiés, des intrigues, des amours et des déceptions. le tout enfermé dans des plâtres, allongé dans des lits d'hôpitaux mobiles…

Un récit visiblement en partie autobiographique, où la mélancolie du ciel gris et de la mer du nord fusionne avec celle des malades attendant avec patience une hypothétique guérison. Merci à notre amie Tandarica de me l'avoir fait découvrir, car je ne connaissais guère la littérature d'hôpital, et encore moins les auteurs roumains.
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Deux traductions déjà de ce bref roman, qui, paradoxalement, et à mon humble avis, avait dans un premier temps dû être « écarté », ou « ajourné » par Maurice Nadeau et ses traductrices « historiquement » initiatrices des oeuvres complètes de Max Blecher en français. le titre en décourage certainement plus d'un. Résumons donc ce récit linéaire, de lecture résolument facile malgré la gravité et la cruauté de la maladie.
Emmanuel, l'étranger, étudie la chimie en France, lorsqu'on lui diagnostique le mal de Pott. Son père débarque de Roumanie et il est, par les soins de celui-ci, envoyé au sanatorium de Berck-sur-mer, où il est confié au docteur Cériez, qui le présente à un autre malade, Ernest. Emmanuel fait également la connaissance de Quitonce, à la démarche étrange, de Katty, étudiante irlandaise, Zed, ancien coureur automobile, Tonio, l'Argentin épris de madame Wandeska, guérie, mais dont le séjour se prolonge, Isa, jeune fille sensible et sa servante, Céline. Dès le début, Ernest l'invite à une soirée très arrosée, où Zed et Tonio se défient à l'alcool. Zed finit par abattre une ampoule d'un coup de fusil. le lendemain matin, Emmanuel est plâtré. À la suite d'une opération, Quitonce meurt et on l'enterre discrètement. Ernest présente Solange, ancienne malade, à Emmanuel et ils tombent amoureux, et batifolent en de longues sorties en charrette. Madame Wandeska quitte le sanatorium, Tonio aussi.
Quant à Emmanuel, un jour, par défi, il traverse les dunes et trouve la villa Elseneur, demeure isolée de madame Tils, dont le mari est mort jadis du même mal de Pott, soigné par le même docteur Cériez. Solange en souffre beaucoup, car Emmanuel quitte le sanatorium pour s'installer dans cette villa.
Ernest raconte à Emmanuel, de retour pour une consultation, les errements de clinique en clinique de Tonio. Bientôt lui aussi, guéri, part. Solange le retrouve alors. le soir, chez madame Tils, ils rompent et elle menace de se suicider. Madame Tils repart, Isa tombe sous l'influence d'un charlatan radiesthésiste, après avoir fait découvrir à Emmanuel « Les Chants de Maldoror ». Enfin, le docteur enlève le plâtre d'Emmanuel qui fait l'amour avec Katty. Ernest, guéri et sorti de la clinique, lui révèle dans une lettre que Tonio a sombré dans la drogue. Isa meurt à son tour. le docteur arrange le départ d'Emmanuel, qui prend congé sur le quai de Solange. Elle l'exhorte à tout oublier, mais, dans ce combat contre la mort, ce départ ne semble rien de plus qu'une partie remise pour Emmanuel.
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Comme indiqué dans la présentation éditeur, il s'agit en effet, de la version électronique de ce livre moins connu de Max Blecher, à titre probablement déconcertant pour certains. Très accessible, y compris par sa lecture aisée (récit linéaire, style dépouillé), il a connu une gloire bien étrange pour les lettres roumaines : en cours d'adaptation cinématographique si le projet aboutit, déjà adapté au théâtre, doublement traduit en l'espace de quelques mois seulement (il s'agit ici de la traduction initiale) et suscitant chez l'éditeur Maurice Nadeau l'envie ô combien louable de rassembler des oeuvres complètes : une troisième traduction, alors? Ironie des caprices informatiques, le "oe" est devenu point d'interrogation comme pour mieux attirer l'attention.
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« Coeurs cicatrisés » est le roman autobiographique de l'écrivain roumain Max Blecher. Atteint du mal de Pott, il dut abandonner ses études de médecine et suivre des traitements dans différents sanatoriums dont celui de Berck. Il mourut à l'âge de 28 ans au terme de dix ans de souffrance.
*
On ressent dans l'écriture de l'auteur tout un amalgame d'émotions fortes et contradictoires. La peur, l'espoir, l'envie de vivre normalement, l'énergie, la faiblesse, la douleur. Il s'en dégage une atmosphère mélancolique, triste, même sinistre, qui s'amplifie au fur et à mesure de la lecture, jusqu'à l'envie de fuir ce mouroir au plus vite.
*
Atteint du mal de Pott, une infection aux vertèbres due au bacille de la tuberculose osseuse, Emmanuel, le narrateur, est soigné dans un sanatorium de la station thermale de Berck, au bord de la mer. Nous suivons son quotidien et celui des autres pensionnaires avec qui il se lie : Ernest, Tonio, Solange, Isa, Zed, Quitonce, … Tous sont émouvants dans leur combat, leur bravoure, leurs épreuves, leurs peines, leurs peurs.
*
« Il y avait dans ce livre tout ce que l'ennui, la tristesse, le rêve et la frénésie pouvaient réunir en poèmes de fantastique et troublante beauté. »
Cette phrase résume à elle toute seule, leur combat contre la maladie. Rires, amitiés, souffrances, souhaits, vie, guérisons, décès.
*
Prisonnier de son corps, de sa maladie, de ses douleurs tant physiques que morales, Emmanuel veut défier l'ennui, et affronter son isolement, ses frustrations, ses pensées morbides par un semblant de vie normale.
Prisonnier de cette gangue de plâtre autour de son buste qui l'empêche de se mouvoir, d'être libre.
Prisonnier du temps qui passe, l'attente, l'espoir, le désespoir.
Prisonnier parfois aussi de cette ville, car une fois guéris, les anciens malades gardent des séquelles importantes et sont l'objet de curiosité malsaine et déplacée dans le monde des valides.
« La guérison se révèle tout aussi cruelle que la maladie… »
*
En arrière-plan, les dunes de sable, la plage et l'océan, miroirs des émotions, des douleurs corporelles et d'une réalité d'incertitude et d'angoisse. L'auteur décrit de manière anatomique ces paysages marins.
« On aurait dit que cet endroit de la terre avait été écorché vif, pour livrer l'intimité de sa circulation sanguine, les artères brûlantes et terribles par lesquelles l'or et la pourpre incendiaire s'écoulaient en lui. Un instant d'effrayante grandeur, qui coupait le souffle. »
Il « joue » aussi sur les contrastes entre la mer, parfois calme, parfois déchaînée et les sentiments humains, la peur, le tourment, les pressentiments, la dégradation progressive des corps, la guérison ou la mort.
Il "joue" également avec les odeurs. Les odeurs marines et les odeurs des corps malades, odeurs nauséabondes de crasse sous les plâtres, odeurs de plaies, odeurs de gangrène.
« du côté de l'océan lui parvenait une brise coupante et humide, fortement imprégnée d'une odeur d'algues, de moisissures et de charogne. »
*
Et puis, il y a aussi le temps qui rythme les journées, les bains de soleil, les sorties sur la plage en « carrosse », les moments de solitude à regarder la pluie qui tombe, les moments de partage, les moments où la maladie a pris le dessus, les moments où la vie reprend son cours.
*
Peut-être que le titre révèle que même rétablis, les anciens patients gardent des cicatrices visibles mais aussi plus intimes, invisibles, souvenirs de ces terribles moments d'incertitude, d'amitiés crées et perdues.
Sans jamais tomber dans le pathos, l'auteur aborde des sujets universels, comme la vie, la mort, la maladie, l'amitié, l'amour, la jalousie. Ils sont décrits avec sincérité, sans tabous, mais aussi avec beaucoup de sensibilité.
*
J'ai refermé ce livre bouleversée par ce récit triste, poignant, bouleversant. Et je veux remercier Gabrielle Danoux pour m'avoir proposé la lecture de ce petit roman, moins de deux cents pages, qu'elle a magnifiquement traduit. J'ai savouré les mots si bien choisis, entre poésie et fureur, les métaphores sur la nature. C'est beau, émouvant, douloureux, sombre et poétique. Je vous le conseille. 
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Drôle de coïncidence entre début janvier 2019 et celui de 2020 : j'ai démarré les deux par un livre se déroulant dans un sanatorium : La Montagne Magique de Thomas Mann l'an dernier, Coeurs cicatrisés de Max Blecher cette année. le premier m'emporta à Davos en Suisse pour la tuberculose pulmonaire; le second à Berck en France pour la tuberculose des os.

Je dois cette lecture à la traductrice du roumain en français, Gabrielle Danoux (alias Tandarica sur Babelio), qui m'a gentiment proposé de découvrir la littérature roumaine. Je l'en remercie infiniment.

Le personnage principal, Emmanuel, est un jeune homme natif de Roumanie que son père envoya faire ses études de chimie en France, dans l'entre-deux-guerres. Il souffre depuis déjà plusieurs années du dos, douleurs mises sur le compte de rhumatismes, jusqu'à ce qu'une radiographie décèle une spondylodiscite, la tuberculose des os. de partir donc dans un sanatorium de Berck pour y être soigné, allongé plâtré dans une gouttière mobile.

J'avais déjà remarqué dans La Montagne Magique, combien le sanatorium est un espace singulier et comme hors du monde. Dans Coeurs cicatrisés se retrouve une atmosphère assez similaire. Les malades et souffrants vivent entre eux, avec des évolutions plus ou moins positives ou négatives, selon. Emmanuel doit d'abord accepter sa condition et se faire au port de la carapace de plâtre qui lui emprisonne tout le dos et les lombaires, ainsi qu'à la position couchée sans moyen de sortir de la gouttière. Une existence très particulière et difficile à admettre d'un seul tenant.

Max Blecher offre dans son roman à voir un microcosme spécifique avec les diverses relations qui peuvent s'y nouer. Être jeune homme vigoureux, avec toutes les envies que cela implique, et se retrouver réduit à l'immobilité forcée, ça pèse sur le psychisme et sur son rapport au monde et aux autres, quand bien même la santé nécessite ces conditions.

J'ai apprécié la découverte de cet auteur dont je n'avais jusqu'ici pas entendu parler. Son écriture est fluide, assez neutre quant aux émotions. Je suis heureuse d'avoir pu élargir mon horizon littéraire et ne manquerai pas d'aller me balader à nouveau au gré des pages du côté de la Roumanie.
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