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Critique de Levant


On ne lit jamais deux fois le même livre. Cette deuxième lecture que je fais de la ferme africaine - la première remonte à 1994 - me fait découvrir l'ouvrage sous un autre jour. Ce n'est évidemment pas celui-ci qui a changé, mais bien moi. Les acquis de la vie font évoluer la personnalité et sa perception du monde. Il n'en reste pas moins que je l'ai apprécié autant que lors de ma première lecture, mais plus pour les mêmes raisons. J'ai le sentiment d'en avoir fait une lecture mieux imprégnée de l'état d'esprit de l'auteure mais a contrario plus critique.

La ferme africaine est avant tout l'histoire d'un échec. Peut-être même de plusieurs. le tout premier étant celui de la vie conjugale de l'autrice. Elle ne mentionne son mari qu'une seule fois dans le texte. Encore le fait elle pour évoquer son départ vers la frontière, missionné dans le cadre du conflit qui opposait le Kenya à son voisin sous domination allemande. Les faits relatés se déroulent à l'époque de la première guerre mondiale. Karen Blixen ne fait aucune mention de sa vie de couple dans l'ouvrage alors que c'est une entreprise qu'ils avaient lancée en commun. Un silence qui en dit long sur l'ambiance de la vie conjugale et les conduira au divorce en 1925.

Échec aussi et surtout de la survie économique de la ferme. Il faut dire que cette femme s'est retrouvée bien seule et sans réelle compétence pour faire vivre le projet. Échec enfin, mais dû à la cruauté du destin cette fois, de la relation qu'elle avait tissée avec ce jeune aristocrate et aventurier anglais, Denys Finch Hatton. Il s'est tué dans l'accident de son avion. On leur prêtait une relation amoureuse.

Mais le plus grand traumatisme n'a-t-il pas été pour elle la séparation d'avec tout le personnel autochtone qu'elle faisait vivre et travailler sur ses terres. Car si Karen Blixen les appelait « nègres », cette appellation n'avait pas dans sa bouche la connotation offensante qu'on lui affecte aujourd'hui. Elle avait construit avec eux une saine relation humaine qui était dépourvue de mépris pour leur condition. S'interrogeant elle-même sur l'impact de la colonisation qui provoquait chez les populations indigènes un véritable choc culturel en faisant se confronter des développements de sociétés humaines en complet décalage. Ne le dit-elle pas elle-même dans son ouvrage : « Mais nous-mêmes, où en serions-nous à ce moment-là ? Qui dit que ce n'est pas nous qui nous cramponnons aux nègres, retardons leur ascension, avec un désir passionné de retrouver la confusion, l'obscurité et la vie élémentaire ? »

Il y a un autre sujet en filigrane dans cet ouvrage, mais non moins évident, qui est celui de l'impact de la civilisation, avec tout ce qu'elle comporte d'appropriation des richesses naturelles, sur l'évolution de la faune et de la flore et conduit aujourd'hui à l'extinction des espèces. La conquête des territoires grignotant peu à peu et de plus en plus vite leur espace vital. Les safaris menés à l'époque en toute bonne conscience contre une ressource imaginée inépuisable n'avaient rien de safaris photos.

Le recueil de souvenirs de la ferme africaine, au-delà de la portée romanesque et nostalgique qu'a voulu lui donner son auteure, fait figure de réelle étude ethnologique des sociétés se confrontant dans leur niveau d'évolution, avec la grande interrogation sur la définition du terme de civilisation quant à la pureté de ses intentions. Quel est le sauvage : celui qui tue pour se nourrir ou celui qui tue pour afficher un tableau de chasse ?

Lecture plus critique disais-je en préambule, donc moins porté sur le côté splendeur de la nature et romantisme tel qu'a pu le mettre en images Sidney Pollack dans Out of Africa. Mais deuxième lecture qui m'a rapproché des intentions de Karen Blixen quant à la sincérité des sentiments qu'elle a voulu faire valoir dans cet ouvrage à l'égard du pays et des populations autochtones. Les rapports humains qu'elle avait établis avec ces dernières, s'ils n'étaient pas exempts de la connotation de supériorité de race qu'affichaient sans vergogne les colonisateurs, n'en étaient pas moins empreints de sens de la responsabilité et d'attachement. C'est ce que l'on comprend avec le souci qu'elle a eu avant de quitter le pays de replacer son personnel auprès d'une bonne maison.

Une constante à la relecture de cet ouvrage est le romantisme et la nostalgie qui émanent de ce récit autobiographique. du pain béni pour un réalisateur qui le porte à l'écran sur fond des somptueux décors africains du Kenya.

Lien : https://bibliolevant.blogspot.com/
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