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Critique de Luxi


Luxi
08 février 2018
Alain Blottière m'avait littéralement subjuguée avec son "Tombeau de Tommy". Et même pire que ça : il m'avait mise à terre. C'est merveilleux d'être brisée de cette façon par un roman. Après le bouleversant "Rêveurs", "Comment Baptiste est mort" confirme la profonde admiration que j'ai pour l'auteur.
Une pièce, un bureau, un enregistreur et ce qu'on imagine être un psychologue. Baptiste-devenu-Yumaï tente de répondre aux questions qu'on lui pose, de faire surgir des fragments de lumière à travers l'opacité qui l'étreint. Les images, endommagées, disloquées, peinent à se réveiller, sa mémoire refuse et son esprit fait barrage. Qu'est-il arrivé à Baptiste et que l'a-t-on forcé à faire là-bas ? Qui se camoufle sous la chair meurtrie de Yumaï ?
Le roman alterne donc entre la forme de l'interrogatoire et le récit, chaque partie engendrant de nouvelles réponses, des éclaircissements plus ou moins déchiffrables. J'ai beaucoup apprécié ce balancement qui fait respirer la lecture et déploie le regard que l'on a sur l'histoire.
C'est l'histoire d'une dépossession totale de soi, d'un conditionnement d'une exceptionnelle ingéniosité, d'une désintégration lente, barbare et méthodique. C'est vicieux, c'est subtil, c'est presque du génie tant c'est cruel. Des jours entiers, aux côtés de sa famille puis loin d'eux après qu'on l'en ait arraché, Baptiste est maltraité, humilié, drogué, manipulé, fracassé. Ses bourreaux le brisent froidement, méticuleusement, de façon à ôter en lui tout ce qui faisait son essence et recueillir un contenant vide, un corps dépeuplé dans lequel ils pourront y enfouir Yumaï, le nouveau guerrier blond. Un Yumaï qui pourra devenir un enfant-soldat. Un Yumaï qui pourra tuer.
Dès lors, Baptiste n'est plus. Baptiste est mort. Ce qui l'a tué – et comment ça l'a tué – constituera le fil rouge du roman.
L'écriture d'Alain Blottière reste un enchantement : toujours aussi délicate, tout en lyrisme et brisures. C'est sincère, c'est puissant, c'est infiniment respectueux. Aucun jugement ne perce dans le récit de cette atroce captivité : la plume de l'auteur observe, contemple et transcrit. Il s'efface derrière ses personnages, soucieux et fidèle. Il met en valeur leurs disgrâces autant que leurs beautés, il en fait des portraits tout en nuances de gris, sensibles et vrais.
J'ai lu ce roman en une soirée, incapable de le refermer, entre effroi et sidération. On marche à côté des prisonniers. On suffoque comme eux sous la chaleur cuisante de ce décor de sable et le métal des kalachnikovs sur la nuque. On a faim avec eux, peur avec eux, on a presque mal dans ce coin reculé de la chair qui sait que tout est vrai. Plus loin. À quelques milliers de kilomètres d'ici.
Alors oui ça bouscule, ça blesse, ça révolte, ça entaille le coeur et l'âme. On en ressort vacillant, fébrile, nauséeux. C'est un roman qui laisse comme un goût d'acier dans la bouche, ça vous poursuit même après la dernière page refermée, ça vous hante et ça vous accuse. Parce que c'est aussi un roman qui questionne nos lâchetés et nos courages, cette part d'humanité – ou d'inhumanité – qu'on couve en soi. Les djihadistes ne sont malheureusement pas des êtres débarqués de planètes lointaines. Et c'est aussi cette proximité terrifiante qu'Alain Blottière raconte ici.
« Comment Baptiste est mort » fait partie de ces romans qui fouillent au plus profond des esprits. L'auteur n'hésite pas à creuser, visiter les entrailles de ces êtres qui ont choisi de tuer au nom de Dieu. Et c'est terrible à dire mais on en vient presque à comprendre comment ce travail de désintégration est possible, comment on en vient à faire d'un gamin, d'un adolescent, d'un jeune homme, un être-robot dépouillé de toute faculté de raisonnement et de toute lucidité. C'est profondément révoltant et bouleversant.
En seulement 224 pages, Alain Blottière raconte le dépouillement de soi et la monstruosité gratuite avec une déférence et une délicatesse extraordinaires. On ne sort pas indemne de ce roman qui enlace la pureté d'un chagrin auquel on ne peut plus rien à la majesté poignante de la reddition. Merci aux éditions Folio pour la lecture de ce très beau roman.
[Chronique complète avec citations et lien sur mon blog]
Lien : https://lechemindeslivres.wo..
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