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Critique de oblo


Dans une République romaine à l'agonie, semblable en cela à son maître, César, assassiné aux ides de Mars par les conjurés réclamant le retour d'exil de Publius Cimber, un homme erre à la recherche de la pureté. Cet homme se fait injustement appeler Publius Cimber, qu'il a assassiné, pour prendre possession d'un étrange objet : une femme prise dans un bloc de glace qui ne fond pas. Mais cette femme prisonnière a un regard magnétique, qui brille des cristaux de la vie, et ainsi elle enchaîne à elle le héros anonyme de cette histoire.

On suit donc les pérégrinations hasardeuses de ce jeune homme depuis les contrées glacées où, avec ses compagnons d'infortune, puisqu'exilés, il découvre ce trésor atypique, jusqu'aux villes chaudes du sud où la glace se met à fondre en passant par divers déserts : d'eau, de sable, de mort et de mépris. Pour autant, ce ne sont pas des déserts de solitude qu'il affronte. le faux Publius rencontre ainsi un jeune garçon dont il s'éprend - et qui reprend le personnage de Giton dans le roman de Pétrone - et une jeune actrice qu'il ne peut, à son grand désespoir, honorer à cause d'une virilité défaillante. Plus encore, le faux Publius évolue dans un monde d'hommes en mouvement : armée qui rafle les esclaves, marchands d'esclaves attaqués par des pirates, légions romaines rasant les bases pirates, généraux romains et même de vicieux sages qui, sur le rivage, l'attendaient pour le soumettre à un combat bestial.

Evidemment, le lecteur tâche de voir un sens dans cette histoire. Comme l'écrivent si bien les éditions Cornelius, on y verrait l'impossible union entre la pureté et la nature véritable des hommes ou même la quête d'identité d'un homme, enferré dans son mensonge et qui, malgré ses protestations de qualité, ne cesse d'être traité comme il doit l'être à cette époque : comme un esclave, comme un menteur. Cependant, il est difficile de décrire une telle oeuvre sans la trahir. Quoiqu'il en soit véritablement du sens de cette bande-dessinée, et dans la mesure où chacun pourra y trouver un sens propre à ses aspirations (mais n'est-ce pas là le révélateur de l'universalité d'une oeuvre ?), Peplum détient indéniablement un côté hypnotique.

Cela est du probablement à la filiation littéraire assumée, revendiquée même, par Blutch, avec le Satyricon de Pétrone, oeuvre fondatrice dans l'histoire de la littérature européenne. D'autres que moi ont montré - et avec bien plus d'arguments que je ne pourrais en fournir - ces liens très forts entre la bande-dessinée et son modèle antique. Il suffit simplement de souligner la ressemblance entre le "petit frère" et Giton, entre le poète de Blutch et Eumolpe mais aussi les environnements sociaux dans lesquels évolue le faux Publius Cimber : marchands, marginaux, artistes ... Enfin, on remarquera l'omniprésence de la sexualité, peut-être évoquée avec plus de pudeur chez Blutch.

Cela est du sûrement aussi au dessin de Blutch : nerveux, presque brouillon si l'on colle les yeux à la page, et qui pourtant saisit les caractéristiques de l'époque qu'il traite. Bien plus, son mérite réside dans sa capacité à montrer l'invisible : le mouvement des corps, les fluctuations de l'air, l'uniformité apparente d'une ville méditerranéenne, et les sentiments. Les visages, et plus particulièrement les yeux (quel travail sur les yeux ! avec peu de détails, ils montrent beaucoup : ainsi le regard perdu des esclaves, le regard dément des enfants, les regards des morts en sursis, le regard troublé et désemparé, le regard lubrique d'un général à la vue d'un adolescent ...) révèlent l'âme des personnages.

Cela est du, c'est certain, à la qualité littéraire des textes. Poétiques, lyriques, ils disent tout avec, pourtant, la retenue que l'on lit chez les auteurs classiques. D'ailleurs, la référence au théâtre antique n'est jamais loin : ainsi l'apparition des choeurs, puissants par leur détachement, par leur intemporalité. Blutch montre avec un grand talent que la bande-dessinée tient aussi au verbe qui l'anime.

Les éditions Cornelius, qui font de Peplum un chef d'oeuvre, n'ont sans doute pas tort. du moins le traitement matériel - couverture cartonnée, papier de qualité, numérisation nouvelle à partir des originaux - est en adéquation avec ce qu'ils en disent. Pour Peplum, tout est beau dans le pire des mondes.
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