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Critique de JaneLaVoyageuse


Un court roman, 120 pages dans l'édition folio, et pourtant tout est dit : la vie, la mort et entre deux toutes les polarités tissant l'existence des Hommes. La fragilité, la résilience, la joie, la tristesse, la vaillance, le découragement, l'élan, la retenue, la certitude, le doute, le jour, la nuit et, veillant sur tout cela, un cerisier traversant les saisons et offrant au soleil, à la pluie et au vent sa nudité ou ses atours changeants. Un court roman qui à cause de son format et surtout grâce au talent de son auteur va droit à l'essentiel et nous donne L'impression, en parcourant ses pages, de traverser toute une vie. Ce livre m'a fait penser à une citation de Jacques Prévert :
"La vie est une cerise
La mort est un noyau
L'amour est un cerisier."

Christian Bobin aurait pu mettre ces vers en exergue de son roman. C'est de cela que parle "Isabelle Bruges", de la vie, de la mort, de l'amour et d'un cerisier qui est le meilleur ami d'Isabelle sans doute parce qu'inconsciemment la jeune fille sent que cet être végétal contient en son essence tout cela.

La prose de Christian Bobin est épurée, tendue comme un fil, efficace et franche et pourtant si délicate. Et surtout elle est infiniment poétique. Elle me rappelle un peu celle d'auteur.ices japonais.es, entre autres elle m'a fait penser au très poétique roman d'Hiromi Kawakami "Les Années douces", où les sentiments agitant l'âme humaine trouvent symboliquement écho dans le paysage : une fleur, une montagne, une pluie d'été, le cri d'un oiseau, un cerisier en fleur...

Il y a beaucoup de symboles discrets et pourtant très forts dans ce roman où, sous la surface des mots, résonnent des accents presque mystiques, comme pour nous amener à nous demander : toute vie n'est-elle pas, au fond, une longue prière ? Une prière à un Dieu qui serait L Univers entier, avec un coeur battant au rythme des saisons. Il faut d'ailleurs aussi parler du rythme qui est le véritable moteur de ce roman qu'on lit et écoute comme on le ferait d'un long poème en prose qui se dévide et nous plonge subtilement dans un état quasi méditatif.

Et puis il y a bien sûr l'histoire d'Isabelle, étonnante de maturité pour ses treize ans, et propulsée encore un peu plus dans l'âge adulte par le renoncement de ses parents. Au fond, ces mots "adulte", "enfant", ne sont-ils pas que des conventions trompeuses sans rapport avec la réalité ? Ne sommes-nous pas tout cela en même temps : enfant, adulte, vieillard... Ne portons-nous pas en nous dès la naissance l'adulte et le vieillard que nous deviendrons tout en gardant notre âme intacte qui deviendra seulement plus lourde des expériences vécues ? Et d'ailleurs notre jeune héroïne ne naît-elle pas une seconde fois en ce jour d'abandon où elle ne s'appelait jusqu'alors qu'Isabelle, Isa ou Belle selon l'humeur, et se donne à elle-même, après avoir découvert la désertion parentale, un nom tout neuf : "Bruges. Je m'appelle Isabelle Bruges." Personnellement Isabelle m'a parue bien plus âgée que ses parents, et Églantine, la vieille dame qui la recueille ainsi que sa soeur et son frère, parfois tellement jeune ! Un peu comme si la sagesse était infuse, distillée, cachée dans chaque élément du Vivant et que par osmose elle nous était transmise au moment où nous en avons besoin.
Elle ne sait pas retenir, Isabelle, elle se sent inapte à garder les choses ou les êtres, à commencer par ses propres parents. Mais avec patience et pudeur, elle, son frère, sa soeur, l'amie providentielle Églantine et son bourlingueur de fils, ainsi que le chien Nello vont peu à peu s'apprivoiser mutuellement et recomposer une famille.

C'est grâce à "Isabelle Bruges" que j'ai découvert Christian Bobin, pour mon plus grand bonheur. Ce livre est un bijou d'orfèvrerie littéraire quoique ce terme soit trop précieux, pas assez naturel pour lui rendre pleinement justice, non, ce livre est comme une rose naissant dans un jardin et dont nous suivons toutes les étapes de la vie en l'observant si attentivement que rien ne nous échappe, ni les gouttes perlées de la rosée du matin sur ses pétales, ni la minuscule araignée tissant sa toile entre deux de ses feuilles, ni le lent alanguissement annonçant le déclin de sa sève. Un livre qui reste à jamais proche du coeur. Un livre qui répare et qui console. En lisant Christian Bobin, on se sent moins seul. Peut-être parce que nos chagrins, nos secrets, nos pensées les plus intimes nous sont révélées à chaque page, couchées là par la plume d'un autre qui nous regarde par delà le temps et l'espace comme un double dans un miroir. Alors on devient plus serein, apaisé, et on poursuit sa lecture, sentant qu'un autre coeur bat entre les lignes, à l'unisson du nôtre.
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