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Critique de matthieudln


Depuis qu'il a 19 ans, Émeric Fisset court la sente. En Asie du Sud-Est ou sous les latitudes boréales, dans les cailloux yéménites et les sous-bois de la verte Europe ; à ski, à traîneau, à vélo, mais surtout à pied, il est parti très loin, a creusé en lui-même et a vécu beaucoup.
De ses rencontres avec les loups, les ours ou les hommes, on a du mal à savoir ce qu'il a le plus apprécié. du moins fait-on semblant d'hésiter. Car à force de les regarder vivre, sans doute s'est-il dit qu'il préférerait ressembler aux deux premiers et s'éloigner des autres, ses congénères. Pour le connaître un peu, je peux témoigner qu'un loup, il en est presque devenu un, à ceci près que, parfois, il se transforme en ours.
De ses équipées, il a rapporté des récits puissants. Jamais d'assistance, pas de téléphone, foin des réseaux, fi du danger. Émeric Fisset marche. Toujours, tout le temps, rustre lettré, aristocrate du sauvage.
Et puis un jour, il a rencontré Julie Boch, professeur et universitaire émérite. de conserve, ils ont beaucoup cheminé avant qu'elle ne disparaisse dramatiquement dans les confins de l'Altaï russe. Mais grâce aux livres, sa mémoire demeure.
Kamtchatka, au paradis des ours et des volcans est le récit d'une marche de six mois, au pied et sur les crêtes des volcans, dans cette ultime péninsule russe, cernée par les flots de la mer de Béring à l'est et ceux de la mer d'Okhotsk à l'ouest. Julie et Émeric ont tenté de voir en profondeur la partie orientale puis méridionale de ce territoire des marches sibériennes, vide d'hommes et d'illusions mais qui fut le théâtre d'épisodes historiques hallucinants. Là-bas, Béring tutoie Lapérouse et Kracheninnikov, et les éleveurs de rennes font place aux géologues surdiplômés et aux gardiens des réserves naturelles. Suprêmes sentinelles de toundras inatteignables, sauf à pied.
Dans un style qui leur ressemble : érudit, détaillé et, parfois, disons-le, rêche comme l'andésite, Julie et Émeric parviennent à toujours nous faire frissonner à la vue du centième ours qu'ils croisent, à grelotter sous les pluies torrentielles de ces parages, à rire saouls de vodka et de caviar de saumon, et puis hurler d'exaspération sous les assauts de ces vautours que les entomologistes appellent sans honte moustiques.
On ressort de ce livre conquis par l'accueil délicat mais sans chichis des Russes, les pieds rabotés par la rocaille basaltique, les côtes saillantes d'avoir crevé de faim à marche forcée et rasséréné dans ses lubies.
Julie et Émeric sont partis marcher pour se débarrasser de leurs valeurs, étouffer le bruit de l'orgueil par le martèlement du pas et se rappeler que nous ne sommes que cendres. Des cendres rarement volcaniques.
“Adieu les livres, les poèmes !
Je vais partir, le sac au dos…
Les vagabonds, le vent les aime,
Et de ses chants leur fait cadeau”, comme le dit Sergueï Essenine, qu'ils citent opportunément.
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