AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de elea2020


C'est peu de dire que ce roman est un coup de coeur : il m'a procuré des impressions et sensations que je n'avais pas revécues avec une lecture depuis précisément 40 ans, à savoir depuis ma lecture du Seigneur des Anneaux. Je ne dis pas que ce premier volume d'une tétralogie presque achevée égale totalement l'invention de Tolkien, ce serait peut-être excessif. Mais l'auteur crée un monde, une mythologie, une histoire, un univers dans lequel on souhaite s'immerger totalement, comme Tolkien l'a fait en son temps.

Pourtant, il ne s'agit pas de l'oeuvre que pourrait produire un auteur inspiré par Tolkien, mais de recherches différentes, d'une mythologie et d'une cosmogonie qui puisent en des sources diverses, davantage dans le folklore asiatique (Tolkien s'inspirait en grande partie de ses connaissances étendues sur les mythologies nordiques). Je vais arrêter là cette comparaison avec la Terre du Milieu et tenter de présenter ce roman, premier tome de la série La Vie d'Oru, héros désabusé, même si l'entreprise me paraît ardue, tant l'univers de ce roman est vaste et foisonnant.

L'ensemble de la série est donné comme un livre retraçant les leçons de Kiunan, précepteur du fils du sénateur Ersin : Kiunan était le bibliothécaire du sénateur, et a commencé à sa demande à procurer un enseignement au jeune Xul, cherchant le meilleur sujet historique pour intéresser son élève, prompt à se distraire, à savoir le récit de la guerre des marchands, proche de son époque, tout en lui apprenant ce qu'il doit savoir sur les institutions de son pays, son histoire, ses religions, ses peuples, et les relations des hommes entre eux, ainsi que l'exercice du pouvoir. Vaste entreprise ! On découvrira que ce récit est entremêlé de chapitres écrits par Oru lui-même, principal protagoniste du roman, adolescent de 15 ans au début de l'histoire.

Pourrait-on craindre un récit par trop pédagogique, voire démonstratif ? Il n'en sera rien, car en dehors de l'introduction dans laquelle s'exprime Kiunan pour expliquer ses motifs – ce début pose le cadre général du « monde » du Gokara, monde que je qualifierais de médiéval fantastique – le roman sera d'emblée prenant et nous y entrerons dans l'action narrative telle qu'elle se poursuivra tout du long. Il faut la lire et être un peu patient(e), le roman proprement dit commence à la page 28.

Le récit commence par la vie d'Oru, jeune paysan que nous découvrirons rapidement orphelin, dans le village de Shindo, en bordure de fleuve, au sud-ouest de la seigneurie de Xuih. le village est dirigé par un Vénérable, du nom de Shaiku, qui joue un peu le rôle d'un prêtre et d'un chef de village, et qui a pris sous son aile le jeune Oru pour lui dispenser un apprentissage des lettres, peut-être pour un jour prendre sa suite en tant que Vénérable. Shaiku vit également avec sa fille adoptive Ussuma, complètement dévouée à son père, plutôt solitaire et sérieuse. Oru montre de grandes dispositions pour la lecture, l'apprentissage, mais aussi l'exploration de la forêt, et l'observation de ses pairs, bien qu'il soit également solitaire et souffre de difficultés à se lier aux autres ou à être accepté par la communauté. En effet, il est différent : de par son état d'orphelin, mais aussi ses centres d'intérêt, et sa familiarité avec la forêt que les villageois détestent et craignent. de plus, il est souvent dispensé du travail dans les rizières, et sa peau claire, comme ses iris verts, le différencient de l'apparence physique des autres membres de la communauté.

Nous apprendrons progressivement la cause du grand « malheur » qui a frappé le village en faisant périr 36 adultes et jeunes gens dans un trajet en bateau jusqu'à l'île d'Ariè, endeuillant la communauté de ses bras et faisant douze orphelins qui vivent au Dortoir et restent relativement entre eux. Nous suivrons les démarches d'Oru lorsqu'il découvre l'amitié avec Aruma, et trouve davantage sa place au sein du village. Nous verrons également ce qu'il advient quand, point déclencheur de toute l'aventure, l'Assemblée des villageois décide, contre l'avis du Vénérable, d'envoyer une délégation de trois paysans au Jukamachi, demeure seigneuriale de Chaxuih, pour faire entendre leur incapacité à faire face à une nouvelle augmentation de la dîme sur la culture du riz. Décision qui fera tomber en cascade des conséquences imprévisibles, et donnera lieu à la révélation de secrets étourdissants, et au changement radical du destin d'Oru, lequel apprendra dans l'urgence le secret de ses origines.

En conclusion, il serait préférable d'avertir les potentiels lecteurs du fait que lire La Vie d'Oru, héros désabusé, c'est entrer dans un univers, qu'on ne peut y attendre l'aventure et les palpitations seules, ou encore les sentiments. Tout y est, à un degré élevé, et pas une fois je ne me suis ennuyée, malgré la longueur de l'ouvrage, bien au contraire : c'est le type de lecture cocon dont on n'a plus envie de sortir. L'aventure et les mystères, la magie, les combats, y tiennent leur place, mais c'est aussi un ouvrage total, dans lequel les réflexions sur les sentiments humains, la condition humaine en général, s'entrelacent avec un examen des systèmes politiques, de l'exercice du pouvoir, du sens de l'histoire. Julien Bonin ne fait pas autant d'apartés que Tolkien dans son récit, les digressions sont plus intégrées aux motivations et à la fonction des personnages, et les appendices ne prennent pas autant de place que dans le Seigneur des Anneaux ; par ailleurs, l'auteur a créé un système linguistique, des mots et une langue pour ce monde imaginaire, mais c'est accessible et on n'a pas besoin de se référer constamment au lexique ou aux cartes en fin de volume. L'écriture est d'une grande maîtrise, parfaitement claire et limpide, elle se fait oublier au profit de l'intrigue. C'est toutefois une écriture d'auteur classique, la langue y est belle, fournie, c'est un récit au passé de belle facture, et ce plaisir du langage est aussi une grande composante du plaisir de la lecture. Bref : ce premier tome de la Vie d'Oru, héros désabusé n'est pour moi que le début de la série toute entière, et représente d'ores et déjà des livres que je vais garder et à coup sûr relire, ceux que j'emporterais sur une île déserte. D'ailleurs, ne sachant plus quoi lire après ça, j'ai commencé les Contes et légendes inachevés de Tolkien, c'est un signe ! :-)))
Commenter  J’apprécie          182



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}