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Critique de Esthehr



Ce roman a pour cadre la fin de la colonie scandinave du Groenland au XVe siècle, un événement historique dont Bernard de Boucheron a imaginé les causes et les conséquences tragiques.


Le Groenland, ou Nouvelle Thulé, a été colonisé au Xe siècle par des Vikings norvégiens au moment du Petit Optimum climatique médiéval. Les Groenlandais, devenus chrétiens au XIe siècle, disposaient d'une cathédrale et de plusieurs églises. Pendant trois cents ans, ils ont vécu comme leurs frères scandinaves pratiquant l'élevage dans deux régions fertiles du sud de l'île. Durant cette période, les Groenlandais, sont, semble-t-il, restés dépendants du commerce avec la Norvège qui leur fournissait des objets de première nécessité. Au début du Petit Age glaciaire, les traversées en bateau depuis la Scandinavie deviennent quasiment impossibles et l'économie de production doit être abandonnée . Les Groenlandais ont eu progressivement recours à d'autres modes de subsistance et ont pratiqué notamment la pêche aux phoques. Il n'ont jamais renoncé à leur culture ni adopté le mode de vie des Inuits, qui aurait pu éviter leur perte.

L'histoire est racontée selon les différents points de vue d'hommes qui ne sont pas natifs de l'île : le cardinal-archevêque de Nidaros, l'évêque Montanus et le capitaine du navire "Court serpent" sur lequel a été réalisée la traversée depuis la Norvège. le lecteur ne perce jamais les pensées et les sentiments des autochtones qui restent aussi insaisissables et silencieux que des fantômes. Montanus, le narrateur principal, est un homme du XVe siècle qui pense, s'apitoie et punit comme on le faisait de son temps. Il reçoit pour mission la reconquête spirituelle des habitants de Thulé, privés d'évêque depuis plus de 50 ans, au moment où la famine frappe cruellement la population de l'île. Les méthodes de l'homme d'Eglise illustrent les excès du christianisme médiéval mais ont pour but d'extirper la barbarie qui sévit sous l'effet d'une pauvreté extrême. Même si les châtiments utilisés paraissent injustes, absurdes et inhumains au lecteur du XXIe siècle, Montanus éprouve une compassion sincère pour "son petit peuple" et ne ménage pas ses efforts pour rétablir l'ordre moral et civil en tentant d'apporter des solutions concrètes à ces hommes qui meurent de faim.

Les conséquences du changement climatique, telles qu'elles sont racontées dans le roman, sont terribles : les insectes, la vermine, la famine, le froid intense, l'isolement, les épidémies, les razzias des Inuits sont autant de fléaux qui s'abattent sur les Groenlandais et l'équipage de l'abbé. Dans ces conditions extrêmes, la barbarie s'installe et se diffuse : superstition, sorcellerie, lâcheté, cruauté, luxure, impiété, inceste, crime, lapidation, infanticide, parricide, anthropophagie sont les derniers sursauts d'un monde qui se meurt. Ni l'homme, ni l'Eglise, ni Dieu n'y peuvent rien. La nature reprend ses droits et l'évêque échoue dans sa mission. Lui-même, miné par les privations et le spectacle d'atroces souffrances, ne saura bientôt plus distinguer le bien du mal, tant les nuits polaires sont longues et froides.



Il faut avoir le coeur bien accroché pour suivre la descente aux enfers de ces hommes condamnés. Mais ce récit, sans complaisance, est sans doute très proche de la réalité historique. Il donne à voir ce que signifie "mourir de faim et de froid", mieux qu'aucun essai historique ne pourrait le dire. Il soulève de nombreuses questions sur la relativité du bien et du mal face à la souffrance et à la mort. "Mon coeur saigne" dira Montanus "à l'incertitude qui ne donne d'autre choix qu'entre la mort et l'impiété".
Le roman révèle finalement les limites de Dieu et surtout de l'homme.
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