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Critique de ElGatoMalo


Des jockeys courts sur pattes montés sur des chevaux aux jambes démesurément longues - clin d'oeil aux animaux de la Tentation de Saint-Antoine de Salvador Dali ? On peut se demander ce que viennent faire ces nabots déformés jusqu'à la caricature à cet endroit là : première page ; Saratoga Spring. État de New-york. 1956. Un petit détour par le Wikipédia anglais plus disert que le français sur cette ville. On y apprend qu'il s'y déroule une course célèbre depuis 1863, il s'agit du "oldest continuously-operating sporting event of any kind in the United States" : le plus ancien de tous les événements sportifs des États-Unis encore en activité et cela sans interruption. Clin d'oeil - encore ? - aux Diamands Sont Éternels de Ian Flemming (sorti en 1956, coïncidence de nouveau ou une référence à un permis de tuer combiné aux flash d'un miroir aux alouettes) ? Une gamine qui ne s'appelle pas Alice mais avec un lapin blanc dans les bras vient offrir un verre d'eau au seul personnage qui a pris un coup de chaud, un des cavaliers déformés qui passaient devant chez elle - et nous offre ainsi le contraste simultané des extrémités de la vie : la très jeune fille et le très vieux monsieur dont les rides doivent symboliser l'âge de la course. Il lâche une phrase prophétique : "Tu feras des ravages plus tard". Sur le moment, on n'est pas sensé - on ne peut vraiment pas - savoir que c'est à prendre au premier degré. le lapin se dédouble, court dans les jambes de la fillette. La maman de la jeune Rita fait la cuisine. Il est question d'une "foutue Dolorès" qui doit être retrouvée par le jockey de carnaval. Encore une prophétie. Plus détournée. Parce que ça va effectivement faire mal. Un mal de chien. de loup-garou même. Mais là aussi on ne sait pas encore que c'est une annonce faite à sainte Rita par un drôle d'ange tout ratatiné. Et on passe enfin à la page quatre où une vieille dame au visage plus fripée encore radote dans son jardin, pestant contre son fils et son père de mari qui répare le toit avec un point de vue sur le Grand Canyon.

C'est en quelques pages une accumulation de situations, d'images, de couleurs, de lieux, dedans/dehors, de personnages qui motivent les points de vue et les arrières-plans - sensations de vertige et de liberté certainement pour le papa sur son toit qui doit se souvenir des sensations éprouvées en visitant ce site célèbrissime. Très complexe. On s'y perd ; ça bouge dans tous les sens mais on se rapproche du personnage du magicien qui apparaît à la sixième page. Enfin. On aura eu entre temps l'occasion d'aller faire un tour dans le cagibi, sous l'escalier, et y discuter avec les animaux qui s'y trouvent pour tacher de savoir si le cheval qui est là - sous l'escalier, bizarre, non ? - n'est pas la Dolorès de tout-à-l'heure. Et il est vrai qu'un moment, on aurait pu penser que Dolores était le nom de la jument du jockey dont il ne sera plus question jusqu'à la page 68 où on le retrouve dans un bus.

Pour la seconde fois, le livre me glisse des mains. Je suis vraiment désarçonné par ces collages, ces ripages, ces courts-jus, ces raccourcis, ces sauts du coq à l'âne, entre les clichés, les images d'une Amérique que je ne connais vraiment pas. Est-ce une improvisation ? Une sorte de morceau de jazz visuel et narratif ? Une construction d'ambiance ? Mais voilà, si je comprends que l'histoire avance dans le temps, l'espace, lui se désagrège, se transforme, change trop souvent d'apparence - il zappe - trop vite pour que mon attention s'adapte. Trop déstabilisant. Je ne suis plus. Je laisse tomber. Il paraît qu'on a récompensé l'album d'un Alfred. C'est vrai qu'il est joliment fait avec ces chapitres introduits par des doubles pages opposant le décor monochrome terne et fadasse d'une triste réalité de carton pâte aux fantasmes colorés des rêves qu'ils encadrent. Peut-être est-ce un poème libre en bande dessinée ? Ou un essai de création à la manière de l'Oubapo mais les règles de construction m'échappent. En fin de compte, l'atomisation des significations et leur reconstruction en kaléidoscope me soule un peu. le jeu de la narration suppose qu'on accepte de faire 'comme si', comme si c'était vrai. C'est un contrat entre celui qui raconte et celui qui écoute. Mais quand on ajoute trop de 'comme si' et à force de mélanger le vrai et le faux, on brouille tout et on perd le fil de la lisibilité.
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