Citations sur Une histoire des miracles : Du Moyen Age à nos jours (13)
Pour le musulman, Dieu éprouve l’homme par la maladie et la souffrance, qui sont des voies de purification : s’inscrivant dans une forme de prédestination, dans l’universalité de la Création, elles doivent être acceptées sans révolte, mais dans la confiance. Si la médecine échoue à soulager ou à guérir, rien n’empêche le croyant de prier Dieu de lui accorder la guérison, dès lors qu’il se remet entre ses mains, et il n’est pas exclu qu’un miracle réponde à son attente.
Dans la langue populaire d’aujourd’hui, le « miracle » n’a plus rien à voir avec son origine évangélique. Le mot est revenu à son sens étymologique et désigne seulement un phénomène exceptionnel. Par exemple, lorsqu’un sportif ou un candidat partait battu et que finalement il l’emporte, on crie au « miracle ». De même pour le redressement inattendu de l’économie allemande ou de l’économie japonaise après la guerre. Le miracle est réduit au scoop : il n’est donc pas étonnant que la presse en raffole. Mais nous ne sommes pas sur la route du miracle évangélique.
Au XIIIe siècle, le mystique soufi d’origine berbère Sharaf al-Din al-Busiri (1213-1294), qui vécut en Égypte, fut frappé d’hémiplégie. Il composa un poème en l’honneur du Prophète, espérant son intervention auprès de Dieu pour sa guérison. Quand il l’eut terminé, il vit une nuit le Prophète passer sa main sur son côté paralysé et le couvrir de son manteau. À son réveil, il se trouva guéri et, le bruit du miracle s’étant divulgué malgré sa discrétion, on intitula le poème Le Manteau (La Burda). La tombe d’Al-Busiri, à Alexandrie, est toujours un but de pèlerinage pour les paralytiques.
La valeur du miracle n’est pas son invraisemblance, mais l’œuvre qu’il accomplit.
À première vue, le miracle est presque aussi vieux que l’humanité. Quelles que soient les religions et les aires géographiques, l’homme a toujours été confronté au désir de dépasser les limites de son univers et de trouver, à défaut d’une explication, une justification à ce qui échappait à sa perception et à sa réflexion immédiates. Telle est, avec l’éclosion du sentiment religieux, la raison d’être des mythes et, dans leur sillage, de prodiges qui d’une part les illustrent, et de l’autre leur assurent un ancrage dans la réalité par un jeu de correspondances entre le monde d’ici-bas et un autre monde, que ce soit celui d’outre-tombe ou celui des divinités.
Le miracle n’est jamais une violation des lois naturelles : il demeure toujours conforme à quelque loi et n’est pas inexplicable en soi. Il semble à tort qu’un miracle explicable n’est plus un miracle.
« La meilleure eau sur la surface de la terre est celle de Zam Zam. Elle suffit comme subsistance et constitue [un moyen de] guérison pour la maladie. »
Le seul miracle dans le Coran est précisément la révélation du Texte sacré au Prophète, qui s’accomplit en plusieurs visions étalées dans le temps. Pourtant, les Traditions et les biographies de Muhammad rapportent de nombreux faits merveilleux, dont certains dus à son intercession. Ce sont des manifestations de toutes sortes, certaines n’entrant pas à proprement parler dans la catégorie des miracles au sens strict du terme :
Ibnou Hazm, dans sa biographie du Prophète, rapporte trente-sept faits miraculeux : la vision de signes avant-coureurs de la fin du monde avec la destruction du temple de la Kaaba, immunisation contre les poisons, des intuitions, des prémonitions, des prévisions par la lecture de versets coraniques consacrés à des oraisons propitiatoires, ou prophylactiques, ou conjuratoires.
Bien que les Traditions rapportent de nombreux miracles, le prophète de l’islam ne se signale pas par des miracles spectaculaires, contrairement à Jésus, considéré comme le thaumaturge par excellence. En revanche, Muhammad, recevant la révélation coranique à travers l’archange Gabriel, a été sujet à de multiples visions. Ce contraste entre les modèles posés par les fondateurs respectifs de l’islam et du christianisme pourrait expliquer que les miracles, dans l’hagiographie musulmane, soient plutôt constitués d’apparitions, de rêves ou de pouvoirs d’ordre initiatique, alors que les miracles à dominante thaumaturgique abondent dans les Vies des saints chrétiens.
Le miracle relève donc de la normalité et, si exceptionnel qu’il soit, ne transgresse en rien les lois naturelles :
L’immutabilité divine n’en est point compromise. Dieu ne revient pas sur ses décisions éternelles par ces interventions, car en posant les lois générales, il a réglé en même temps toutes les exceptions qu’elles devraient subir dans le cours des siècles. […] Le miracle ne fait que suspendre ou modifier accidentellement un effet particulier de ces lois.