J'ai compris que mes amis formaient un cercle auquel je n'appartenais plus. J'en étais sortie depuis longtemps, et je m'étais refusé à l'admettre. Ils me toléraient encore, mais la distance entre eux et moi ne cessait de se creuser. Un jour ma compagnie ne leur serait plus indispensable. Un jour, nous n'aurions plus rien à nous dire; nos modes de vie seraient totalement inconciliables.
J'ai marché sur les cendres de mon père, avalé celles de mes sœurs, respiré celles de mes frères. J'ai été couverte de fumée et de cendres pendant deux ans. Si Dieu existe, pourquoi a-t-il permis ce malheur ?
J'avais oublié qu'en principe nous étions ennemies. Qu'il y a entre nous le manque de paix, les pneus brûlés des enfants de Gaza, les tirs de nos soldats à Hébron, à Jénine et Ramallah, les jets de caillasse des adolescents masqués sur tout ce qui porte l'uniforme de Tsahal, sur toutes les voitures, civiles ou militaires, des Israëliens. J'avais oublié. Je suis partie trop longtemps. Pour moi, cette terre, c'est seulement celle que j'appelle Eretz, Terre.
La vie est un courant d'air.
- On dit que des torrents d'eau ne peuvent éteindre l'amour, que des fleuves ne peuvent le noyer.
- L'eau non ... Mais un enfant qui pèse mille deux cents grammes ?
Un long moment, Eytan reste sans réponse. Puis il finit par dire d'une voix rauque :
- Un enfant, oui.
- Nous édifions un monde de brutes, continuait-elle. Sans esprit. Sans culture.
[...]
- Ce n'est pas une raison pour cesser de penser.
Le mariage est la hantise des femme de la région, qu'elles soient arabes ou juives. Les Arabes sont mariées par leurs parents, presque contraintes. Les Israéliennes ont beau être libres, décrocher des galons à l'armé et occuper dans le civil des postes influents, elles ne pensent qu'à convaincre leur amant d'officialiser leur liaison.
Si Nourit m'avait interrogée cinq minutes plus tôt, j'aurai parlé comme un torrent de mes attentes, de mon studio à New York, de mes amis, de mes amants... Mais plus je regardais les remparts, les futs des cyprès, les cubes des maisons arabes dispersées comme des légos sur les collines, plus je comprenais que, d'une certaine manière, j'étais à sec.
La musique, ici, ne sert à rien. Trop de cailloux, trop de sable, un monde primaire.