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Citations sur Alastor : Ou le Visage de feu (2)

[...] ... "De cet observatoire, je découvrais tout juste devant moi une seconde porte condamnée par laquelle on avait accédé autrefois à l'escalier de la tourelle. Et j'eus un sursaut de dégoût : car "Alastor" se trouvait là et me dévisageait.

"Le portrait du démon avait longtemps été accroché dans un salon. Puis - ne te l'ai-je pas déjà dit ? - mon père, lassé par les remontrances de maman, s'était résigné à le transporter dans le labo, à l'abri des regards réprobateurs, et l'avait cloué sur cette porte.

"J'étais déjà trop grand pour que la vue du tableau m'épouvantât, ainsi que du temps de ma première enfance ; mais une répulsion persistait en moi. Sous le perpétuel tressaillement des flammes du réchaud, la figure d'Alastor retrouvait une partie de ses sortilèges, elle s'imposait comme un témoin hostile de ma mauvaise action ; j'étais entré en curieux, elle me transformait en coupable.

"Mon père survint, alluma une lampe. Pendant quelque temps, je l'entendis s'agiter, mais, de mon réduit, je ne pouvais suivre tous ses mouvements. Je remarquai toutefois que, sous certains angles, il m'apparaissait en reflet dans la glace transparente qui recouvrait le portrait d'Alastor. Les jeux de la lumière superposaient les deux images : le démon, traversé et retraversé par la silhouette humaine, continuait à me couver de son regard singulier.

"Comme à son habitude, mon père se mit à parler tout seul, mais ses propos avaient trait à l'expérience en cours et ne m'intéressaient pas. Deux ou trois heures s'écoulèrent ainsi. J'étais glacé et déçu de ne voir arriver personne d'autre ; je me préoccupais d'un moyen d'évasion car l'idée de passer la nuit dans ce coin m'effrayait. J'avais vaguement espéré que le travailleur s'absenterait, ne fût-ce qu'un instant, mais mon attente demeurait vaine.

"Bien au contraire, mon père s'était assis, s'absorbant à tel point qu'il cessa de discourir ; son reflet devint prodigieusement immobile, ce qui, au bout d'un certain temps, m'enhardit : des deux formes contenues dans l'écran de cristal, celle d'Alastor était la plus vivante ; la face satanique semblait me prendre en pitié : "Ose donc ! Il s'est endormi !"

"Une certitude m'envahit. "Mais oui, il dort, je ne risque plus rien." Je sortis de ma cachette avec une hardiesse insensée, je heurtai une bonbonne qui chuta brusquement et mon père sursauta.

"Comment dépeindre ce qui se passa alors en moi ? Je savais que je serais cruellement puni ; je m'enfuis en pleurant et en hurlant, je réussis à filer entre les doigts de mon père, qui me poursuivit, la menace à la bouche. Dans cette course, de nouveaux accessoires furent culbutés, brisés, ce qui aggravait ma faute. Mon affolement s'en accrut d'autant. Quand j'atteignis le corridor, toujours serré de près, la vue de la clef demeurée sur la porte m'inspira une idée désespérée ; je tirai derrière moi l'épais battant et je donnai un tour à la serrure : mon père se trouvait enfermé ! Ceci, dans mon esprit, ne pouvait que retarder le châtiment, mais un enfant lutte-t-il contre ses impulsions ? De l'autre côté, des coups et des appels sauvages retentissaient. Me gardant de répondre, je montai me blottir dans ma chambre.

"Mais, en bas, le tapage continua et fut couronné par une sorte de grand choc sourd ; je prévoyais le moment où toute la maisonnée réveillée accourrait. Ma fenêtre s'emplit soudain d'une lueur rougeâtre ; des flammes dansaient aux croisées du laboratoire.

"Mon sang ne fit qu'un tour. Oubliant la punition redoutée, je bondis à travers couloirs et escaliers ; personne encore ne se trouvait aux abords du labo ; je retournai la clef et rouvris la porte, mais les flots d'une fumée âcre, irrespirable, me repoussèrent aussitôt. Ma mère et Augustin parurent alors. Nos appels ne reçurent aucune réponse. Mais, bientôt, l'incendie s'étant éteint de lui-même, nous pûmes pénétrer dans la pièce. Nous la trouvâmes déserte. Les flammes avaient à peine roussi les murs et les meubles ; la seconde porte, celle de la tourelle, béait et balançait l'Alastor intact, ricanant, au-dessus du gouffre obscur.

"Voici ce qui s'était passé : le feu avait été semé par les récipients renversés au cours de la poursuite ; il n'eût sans doute pas été assez intense pour provoquer un accident mortel, mais, par malheur, une cornue chargée de produits toxiques avait, en se brisant, répandu des vapeurs suffocantes. Mon père, enfermé par ma faute, menacé d'asphyxie, avait dû chercher une issue coûte que coûte ; les fenêtre grillées n'en offraient aucune ; seule la porte de la tourelle présentait une voie de salut ; moins solide que l'autre, elle avait cédé sous un coup d'épaule et mon père s'était aventuré dans une partie subsistante de l'escalier à vis ; mais les marches, désagrégées depuis longtemps, avaient cédé sous son poids, le précipitant dans le sous-sol cependant que les matériaux pourris des parties supérieures s'effondraient à leur tour, comme un château de cartes ; nous avons retrouvé le corps sous les décombres ...

"Voilà !" ... [...]
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[...] ... - "Eh bien, explique-toi ! Laurence ? ...

- Mon bon Steve, je crois qu'elle devient folle. Je suis très malheureux.

- Folle ?

- A la lettre, mon vieux : il y a en elle des symptômes de dérangement cérébral.

- Diable ! Mais ... L'opinion du médecin ?"

Gilbert trahit une gêne.

- "Le jour où je déclencherai les toubibs, tout notre bonheur, tout l'avenir entrera dans l'engrenage. Alors, que veux-tu ? Une lâcheté me retient : j'hésite, je veux douter. Les indices sont encore faibles ! Et puis, il y a cet enfant que nous attendons ... Steve, je serais bien soulagé si tu pouvais me dire que je me trompe !

- Ne t'es-tu pas alarmé un peu rapidement ? Il est classique, je crois, que les femmes en cet état éprouvent des perturbations.

- Bien sûr ! Et j'admettrais sans me plaindre l'inexplicable répugnance que je lui inspire depuis quelque temps : je tolérerais de bon cœur des fantaisies insanes, des fugues d'une demi-journée ou le massacre à coups de sécateur d'une collection de rosiers précieux ; mais est-il normal que Laurence ait des hallucinations ? des apparitions ?

- Certes non ! Et j'en reviens à mon idée : en raison de la situation spéciale de ta femme, vous devez bien vous tenir en contact avec un docteur. Qu'en dit-il ?

- Rien ! Selon lui, les choses se présentent le mieux du monde. C'est que ... je ne lui raconte pas tout.

- Tu as tort.

- Devant mon malheur, je ressens cette paralysie bizarre que nous éprouvons parfois dans le sommeil, quand il nous arrive de faire de vains efforts pour nous éveiller : il nous semble ne pouvoir bouger un membre ni ouvrir les paupières, même pour éviter la Mort. Mais que l'on vienne à nous toucher, et aussitôt l'envoûtement se rompt, l'énergie nous est rendue. C'est ce léger choc que j'attends. Qui le donnera ? Maman est si faible, si vacillante elle-même ! Comprends-tu pourquoi je réclame un ami ?"

Steve posa doucement sa main sur le bras de Maufrond :

- "Et ces apparitions, de quelle nature ? ... Figures célestes ? Délires mystiques ?

- Pas du tout ! Des images morbides, des absurdités sans-nom !"

D'un haussement d'épaules, Gilbert rejeta ces horreurs dans le vague. Trouvait-il soudain à ses propres confidences une saveur trop amère ? Il biaisa, sur le ton du sarcasme :

- "D'ailleurs, le "délire mystique" surviendra peut-être à son tour, attendu que la bondieuserie s'insinue chez nous de cent manières, grâce à un certain abbé Loisnier dont ma mère nous a toujours empêtrés, bien malheureusement !"

Il démaillotta l'objet qu'il tenait sous son bras, geste dans lequel il mit cette promptitude automatique où se trahissent parfois certains enchaînements secrets de la pensée.

- "Tiens, et cette autre lubie ? Laurence continue à peindre mais elle ne peint qu'à la veillée, à l'heure des hiboux. Tout un programme ! Que penses-tu de ce chef-d'œuvre ?"

Maufrond exhibait une toile surchargée de couleurs. Sur ce panneau s'inscrivait un visage asymétrique, d'une teinte sulfureuse, et aux yeux égarés et furieux ; la croûte épaisse, marbrée, attestait une somme incroyable de tâtonnements, de repentirs, de recherches confuses. Steve reconnut bien la "manière" de Laurence, naguère d'une violence puérile et peu féminine, mais cette fois tout à fait gâtée par des intentions trop obscures. Quel idéal le pinceau avait-il âprement et vainement tenté de fixer dans ce masque d'Apocalypse ?

- "Il paraît," dit Gilbert avec un sourire malheureux, "que cela représente une vertu théologale : l'Espérance, je crois ! Laurence travaille dans les allégories."
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