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Critique de Skorpionnan


Ce livre a été lu dans le cadre d'un partenariat et j'en remercie le site Babelio et les éditions Ginkgo

Lecture

Paris est un port, un port au bord de cette Méditerranée qui a englouti le sud de l'Europe, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Lors de cette catastrophe , un furoncle a surgi à l'emplacement supposé de l'antique Sodome biblique. Cet abcès a rejeté du sel mauve. Une société, la Compagnie, a pris le contrôle intégral de la production de ce produit miraculeux mais fragile. les "Soixante-Quinze" dirigent cette entité qui a fondé la Colonie. La Colonie, inaccessible, mystérieuse, barricadée, est le seul site d'extraction. Elle vit comme au moyen-âge technologique, toute agression dénaturant le précieux sel, mais aussi dans un moyen-âge social d'une civilisation fermée, féodale et enkystée.

Avis

Roman surprenant. le contexte est vraiment particulier dans ce monde frappé d'un cataclysme que rien n'annonçait. Cette épreuve sans précédent a amené chacun à se poser la question du pourquoi de sa survie tandis que tant d'autres ont été engloutis. Elle a marqué les existences au fer de la vacuité et du découragement.

La Colonie est un point perdu au milieu de ce que la Compagnie veut être un nulle-part. On ne peut s'empêcher en lisant sa description de penser à un enfer de Aligheri ceinturant le Château de Kafka. Les habitants ne sont pas victimes d'un régime totalitaire, pire ils sont employés volontaires d'une société mystérieuse , omniprésente et protéiforme, la Compagnie. Ce même nom qui était le surnom de la CIA dans les années 50-60 lorsque qu'elle cultivait la paranoïa comme une vertu. C'est une société commerciale qui a privatisé la Méditerranée, qui a monopolisé le Sel. Monstre froid nourri des cadavres des millions de noyés, elle se ceint de manipulations, de secrets, encore aggravés par le fait que les conditions extrêmes autour de la Colonie l'éloignent du monde vivant de plus de trois semaines.

Dans ce lieu soustrait du monde, certains ont des privilèges: le chef de la garde, le secrétaire général, le prêtre de la cathédrale, la femme du Gouverneur, le médecin en chef, le juge. Mais tous ne sont en fait que les valets du Gouverneur. le Gouverneur Bera, homonyme du dernier roi de Sodome, est le seul a recevoir ses consignes directement des Soixante-Quinze. Les mineurs, les cyclistes, moteurs humains des véhicules, les gardes, les dockers, tous sont liés à la Compagnie et respectent des règles strictes, rigides. Un carcan enserre la vie de la Colonie.
Le règlement prévaut, les intérêts de la Compagnie l'emportent sur toute autre considération, seul compte le précieux Sel.

Mais lorsque les rails ne sont plus là pour guider ce train, tout déraille. Les personnages, si rigides, si clairement typés, se révèlent alors cyniques, désabusés, malhonnêtes, égoïstes, mythomanes ou tout simplement fous.

Le roman est écrit en majeure partie sous forme épistolaire, des extraits de lettres écrites par ces six, entrecoupés de leurs échos dans le monde réel. La Colonie n'en fait pas vraiment partie. L'auteur ne change pas vraiment de style pour chaque écrivain, formatés qu'ils sont tous. Mais leurs idées et surtout leurs doutes et leurs folies leurs sont bien personnels. le style est parfait de complexité formelle mêlée d'irrationalité inventive, j'ai adoré. L'humour est peu présent, ce serait plutôt de l'ironie, mais bienvenue.

Ce livre est purement et simplement envoutant. Peut-on parler de science-fiction alors que tout se passe dans un univers qui pourrait être le nôtre, mais où une verrue médiévale et infernale s'accroche dans une mer de désolation? Oui parce que ce futur improbable n'est là que pour mieux exacerber les personnes, pour servir de catalyseur à une réflexion sur la ploutocratie économique, sur l'aliénation. On retrouve dans un autre contexte les thèmes chers à William Gibson, y compris le pouvoir de sédition de la liberté personnelle, mais dans une technologie rétrograde. L'auteur est une femme grecque, le livre date de 2007, mais le Journal Libération titrait début Juillet 2011 "Grèce, première dictature économique?"

Tout dans ce livre est fantasmagorique et en même temps affreusement réel. On sent les personnages s'engluer dans les manipulations, ne plus savoir où est leur propre volonté. Mais la folie semble être la seule réponse à l'absurdité politico-économique qui les enferme. Comme le héros du Procès, ils ne comprennent pas mais pour tenter de s'évader finissent par être eux-mêmes acteurs de cette pièce morbide, du moins jusqu'à que la structure gauchisse, et là, l'humanité reprend le dessus.

A toute cette histoire se rajoute une enquête, ou plutôt une quête, magistralement menée. On peut se laisser larguer par cette comédie sinistre; personnellement je me suis laissé emporter par la folie et la complexité des personnages, par la déliquescence de cette société et par l'intelligence du propos.

Ce livre aurait été un coup de coeur, si ce n'était la postface qui assène sans vergogne que "si ce livre est bien accueilli, on ne pourra plus dire que le public français est nul".
Puisque je suis obligé de faire de ce livre un coup de coeur, sous peine de nullité, je ne puis décemment pas m'y résoudre.

Conclusion:

Bizarre et envoûtant, un livre qui n'est pas de la pure SF. Un livre intelligent et absurde. Un vrai plaisir à dévorer consciencieusement.

Ma note : 16.5 /20

(17/20 sans la post face)
Lien : http://www.atelierdantec.com..
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