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Critique de AMR_La_Pirate


Quand Évelyne Boury-Sipelgas m'a proposé de lire son roman, La Théorie de la paire, pour un service de presse, j'ai accepté avec plaisir, intriguée par le visage de la couverture que j'avais déjà remarqué sur les réseaux sociaux littéraires que nous fréquentons toutes les deux, un visage en noir et blanc aux yeux fermés.
De plus, ce livre propose un traitement original des problématiques autour de la surpopulation, de l'épuisement des ressources, des intelligences artificielles, du transhumanisme…

Ce roman est construit sur le principe du duo que tout oppose, d'une cohabitation improbable : une jeune lycéenne un peu perdue qui se reconstruit après un passé anorexique et un sexagénaire, ancien chercheur, conteur d'histoires futuristes.
L'auteure nous propose deux niveaux de narration entrecroisés : le difficile parcours de Joy, réapprenant à vivre et l'histoire racontée par Jonaz, peinture d'une société ultra-connectée aux alentours de 2050 où, pour pallier la pénurie des ressources, une forme particulière de partage est instaurée entre des paires d'individus, chaque élément des binômes constitués de manière très élaborée se partageant les vingt-quatre heures quotidiennes, l'un vivant le jour et l'autre la nuit.
Le lecteur se retrouve dans la posture du personnage écoutant, partage ses réflexions, développe les siennes propres car le récit enchâssé, véritable dystopie, illustre certaines de nos craintes sur le devenir de notre planète. Quand Joy demande des précisions à Jonaz, s'enthousiasme devant l'avancée de l'intrigue, ses réactions s'apparentent aux nôtres, les précèdent ou les soulignent, mettant ainsi un niveau de lecture supplémentaire : nous lisons l'histoire de Joy en train d'écouter le récit de Jonaz de telle manière que les personnages du roman enchâssé sont perçus par nous à travers le double filtre de la narration et de sa réception.
L'alternance narrative donne un rythme binaire qui casse le fil des deux récits, évitant un certain effet de monotonie pour la partie qui concerne Joy, marquée par une absence d'actions tandis que la dystopie pourrait, sans les interruptions dues au dialogue entre Joy et Jonaz, paraître un peu trop technique et invraisemblable. Ainsi, j'ai pu éprouver un peu de regret quand des chapitres consacrés à la dystopie s'enchainent soudain sans interruption, délaissant les deux colocataires atypiques et leurs échanges plein d'affection, de respect et d'humour.
Joy et Jonaz poursuivent un dialogue initiatique, un échange au niveau de l'intime, de la réflexion et de la raison ; le roman futuriste proprement dit déroule des péripéties pleines de suspense. À la tension des évolutions de la pensée Évelyne Boury-Sipelgas oppose la tension des évènements qui s'enchaînent et cela contribue à l'originalité de ce livre. Il y a également un effet miroir entre les deux histoires autour de la quête des origines et de l'image du père qui fait le lien entre les deux univers.

Dans ce roman, un autre noeud thématique s'enroule autour de la ville de Barcelone où se passe une partie de l'histoire racontée par Jonaz et où ce dernier emmène Joy ; j'ai beaucoup apprécié de retrouver Las Ramblas, le Parc Güell, les références à Gaudi, le musée Picasso… C'est toujours plus parlant et vivant quand des évènements terribles, des catastrophes de type séisme ou tsunami se produisent dans des lieux connus. L'auteure joue ainsi avec l'imaginaire de ses lecteurs, prolongeant le dépaysement jusqu'au Mexique.
Il y a également des passerelles intéressantes chez Joy entre le désir de connaître la suite de l'histoire et le retour progressif de l'appétit dans une métaphore filée de l'envie d'aller de l'avant. Ainsi, ce roman n'est pas un énième livre avec l'anorexie en toile de fond, mais une manière intéressante de mêler ce sujet à l'intrigue. de même, Jonaz, dont la mort est proche, prolonge sa vie en racontant l'histoire dystopique à Joy.
Pour la partie purement futuriste de ce roman, j'avoue avoir particulièrement apprécié certaines trouvailles comme le vol des avions de ligne en formation copiant « l'utilisation des formes en V, se relayant à tour de rôle pour profiter de l'aspiration, tout en se protégeant du vent » ou encore le recours à toutes les formes de robotiques. Je salue le travail d'anticipation et la création d'un monde futur à la fois plausible et très élaboré dans ses détails techniques et scientifiques ; certaines subtilités ont pu m'échapper mais l'ensemble sonne à la fois bien et juste au point de mettre des possibles sur mes propres inquiétudes quant à l'avenir de notre monde.
Mes souvenirs de latiniste ont été rappelés par les citations latines disséminées dans le récit comme des maximes anciennes à valeur prophétique ou proverbiale : c'est un procédé assez rare pour être souligné et apprécié.
Enfin, j'ai appris beaucoup de chose sur les insectes et suit peut-être devenue un peu moins entomophobe… à défaut de devenir entomophage. Il ne faut quand même pas exagérer !

Évelyne Boury-Sipelgas revendique une posture de lanceuse d'alerte ; son livre est un cri d'alarme, une vision romancée et réaliste à la fois que chacun s'appropriera, ou pas, en fonction de son identification à l'un(e) ou l'autre des personnages.
La dystopie n'a pas vraiment de fin ou, du moins, la fin reste ouverte ; je ne peux en dire plus, sous peine de trop divulgacher la raison d'être du récit enchâssé… Il n'est pas impossible d'ailleurs que Jonaz soit le double de l'auteure dans le roman. le message est cependant clair : « que ce conte imaginaire inspire la réflexion, qu'il fasse naître de nombreuses questions, mieux encore, un échange avec le philosophe contemporain que chacun pouvait être à ses heures perdues, et enfin réveiller les consciences ».
Voilà un roman dont je vous recommande la lecture : il explore des possibles avec originalité.
Une belle surprise.
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