– Je vous remercie, et vous admire, mon cher collègue, pour l'ardeur, et, j'aime à le reconnaître, pour l'habileté avec lesquelles vous voulez me démontrer que l'œuf est plus ancien que la poule.
– Mais, c'est pour moi de la dernière évidence et je le proclame hautement « L'œuf a précédé la poule. »
« Naturellement, l'œuf primitif n'était pas un œuf d'oiseau mais bien une simple cellule indifférente de la forme la plus simple.
« Durant des milliers d'années, l'œuf a vécu indépendant à l'état d'organisme uni-cellulaire, d'amibe.
« Ce fut seulement quand la postérité de cet œuf unicellulaire se fut transformée lentement en organismes poly-cellulaires, quand ces organismes se furent sexuellement différenciés, que l'œuf, tel que le conçoit aujourd'hui la physiologie, naquit des cellules amiboïdes.
« L'œuf fut d'abord œuf de ver; puis œuf d'acrânien, œuf de poisson, œuf d'amphibie, œuf de reptile, et enfin œuf d'oiseau.
« L'œuf actuel d'oiseau, celui de nos poules, est un produit historique fort complexe, le résultat d'innombrables phénomènes d'hérédité qui se sont déroulés pendant des millions d'années.
« Mais je m'évertue à vous démontrer des choses que vous connaissez infiniment mieux que moi, vous qui avez fait des sciences naturelles votre principale étude.
Ici un fourneau s'allume, pour ne pas s'éteindre de longtemps; là, une cornue de métal commence à rougir sur son lit de charbons incandescents; plus loin, un four à tirage intense fume comme une solfatare; à côté, un matras énorme, plongé dans un bain de sable, s'emplit de vapeurs fauves.
Quatre grandes chaudières de tôle, alimentées à la houille chauffent lentement, et déversent leur contenu dans des tubes débouchant, les uns au sommet de la coupole, les autres dans l'eau du bassin.
Enfin, la grosse machine dynamo-électrique d'Edison, installée à bord de l'Anna, entre à son tour en action, et communique avec le laboratoire par de gros fils métalliques couverts d'un enduit isolateur.
Bientôt, tous ces multiples organismes fument, bouillonnent, crépitent, sifflent, travaillent, émettent des gaz, des vapeurs, des liquides, des fluides qui circulent dans les tubes comme à travers un réseau de veines et d'artères, pour aboutir à ce centre où va s'accomplir une mystérieuse fermentation, précédant ou accompagnant une genèse plus mystérieuse encore.
Des buées chaudes, diversement colorées, flottent au sommet de l'édifice, une sorte de nuage plus ou moins opaque, traversé de tempo en produisent temps par des flammes silencieuses, fugitives, irrégulières et brillantes comme des éclairs.
C'est un grand gaillard, d'âge indéterminé -- peut-être trente-cinq, peut-être cinquante ans -- long comme un jour sans pain, et sec comme un manche de contre-basse. Sur un corps possédant une seule dimension, la longueur, et agrémenté de jambes et de bras démesurés comme des pattes de faucheux, est plantée une tête étrange, à laquelle la fureur communique une expression tout à la fois grotesque et sinistre.