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Critique de 5Arabella


Premier roman de l'auteur (si on excepte des romans populaires sortis sous pseudonyme), publié en1924 alors qu'il n'avait que 25 ans, il assure d'emblée la réputation d'Emmanuel Bove, grâce à des critiques très favorables. Ses écrits suivants ne seront pas aussi bien accueillis, et il vivra essentiellement d'un travail de journaliste, y compris dans des journaux très grand public, traitant par exemple des faits divers. Relativement oublié après sa mort, ses oeuvres connaissent depuis des vagues de rééditions ponctuelles, sans pour autant atteindre un statut de véritables classiques. « Mes amis » est en général présenté comme son meilleur livre.

Nous suivons Victor Bâton qui parle dans le texte à la première personne. Il a connu la première guerre mondiale, et il en est sorti mutilé à la main gauche, invalide à 50 %. Sa pension lui permet de survivre chichement. Il passe son temps à déambuler dans les rues, dans l'espoir de rencontrer enfin une âme soeur, un ami, ou peut-être même un amour. Il passe son temps à imaginer ces rencontres, dès qu'il croise quelqu'un, il élabore des possibles histoires communes. Mais à aucun moment il n'arrive à se mettre à la place de l'autre, qui n'est qu'une sorte de prétexte à l'imagination, à finalement un retour sur soi. C'est ainsi que les silhouettes qu'il évoque dans les différentes parties du roman (Blanche, Billard, Neveu etc) ne font qu'apparaître un instant, il n'y a en réalité aucun échange, et souvent Victor Bâton fuit, ou se comporte de manière à ce que l'autre le fuit. Aucune lueur d'espoir ne semble possible dans la vie du personnage.

C'est un texte étrange, que l'on peut lire à différents niveaux. C'est en apparence très réaliste, très descriptif, avec des phrases courtes, un vocabulaire simple. On peut avoir la sensation de quelque chose de presque journalistique, et Emmanuel Bove exerçait ce métier. Mais cette impression ne résiste pas à un examen plus poussé : le monologue de Victor est centré sur lui-même et ses sensations, et l'univers qu'il décrit, malgré une forme de descriptions triviales, semble se distordre, basculer sous ses allures familières dans une sorte d'univers parallèle. C'est subtile, peu marqué, mais incontestable, et cette distorsion du quotidien introduit une sorte de malaise, sans doute voulu par l'auteur. L'humour grinçant, qui semble involontaire ou inconscient chez Victor, mais sans aucun doute pas chez Emmanuel Bove, joue un rôle essentiel pour l'installation de cette ambiance.

La forme du livre est aussi particulière, la couverture parle de roman, mais après une introduction et avant une conclusion finale centrés sur le personnage principal, les autres parties sont des récits concernant à chaque fois la rencontre avec un ou une autre, vue entièrement du point de Victor. Chaque partie étant pour ainsi dire indépendante, ne semblant pas avoir de lien direct avec les autres, à part la voix du narrateur-protagoniste et pourrait à la limite se lire seule. Plutôt que de nouvelles agglomérées pour constituer un livre, il me semble que c'est une façon de concevoir la fiction qui efface quelque peu les frontières entre le roman et les nouvelles. L'expérience du récit court, article ou nouvelle pour la presse, que Bove a beaucoup pratiqué, peuvent expliquer cette approche particulière de la forme romanesque sans lui enlever son originalité.

Incontestablement un texte intéressant, qui provoque pas mal d'interrogations et une forme d'inconfort chez le lecteur, le personnage de Victor étant très ambiguë : incontestablement un pauvre homme que l'on ne peut que plaindre, aussi bien à cause de sa misère que de sa solitude, mais en même temps très égocentrique, ne voyant les autres que par rapports à ses attentes, ses fantasmes, voulant qu'ils deviennent des sortes de marionnettes qu'il pourrait manipuler, et qu'il rejette dès qu'ils commencent à ne pas correspondre à ce qu'il imagine. Il est presque inquiétant par moments, dans cette façon de mêler le réel et l'imaginaire.

A découvrir absolument.
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