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Critique de Fleitour


Le précédent roman de TC Boyle, Après le Carnage, investissait Les Channel Island pour un débat de militants "Écolos" entre une tendance radicale et des responsables du conservatoire de la faune et la flore.

San Miguel, ici est investi par trois voix de femmes (et en partie documenté par leurs écrits), elles proposent une vision plus réaliste, plus sombre, presque noire, de l'île perdue dans les brumes au large de San Francisco.

San Miguel est bien cette île inhospitalière à souhait, balayée par les vents d'Ouest, où la nature se déchaîne au rythme des tempêtes, petit piton rocheux planté comme pour défier le diable. Peu de bateaux y font escale, quelques voiliers parfois ont la chance ou la malchance de s'y abriter.
Quelle lubie a pu conduire une famille à tant d'imprudences à vouloir vivre et même y guérir ? Ce rêve fou, on le vivra en trois épisodes, deux femmes vont y succomber, une troisième, mineure, contrainte de suivre son père par la force, finira par s'enfuir.

« Sur une île? Où cela, dîtes-vous ? Puis elle avait marqué une pause et son regard s'était pour ainsi dire retranché.
Je crois que l'air y est très bon, là-bas, avait-elle déclaré, très sain ; et le petit feu de charbon, dans la cheminée, s'emballa derechef.
Et il y fera plus chaud, plus chaud qu'ici en tout cas.P13 »

Par aveuglement Will et Marantha s'engageaient dans une aventure, une nouvelle vie, l'air virginal laissa vite place aux brouillards, puis une fois sur l'île à la boue. Perdre sa belle vaisselle fut pour Marantha le premier drame, plus lugubre et funeste, fut la fuite d'eau, qui en pleine nuit trouva le lit conjugal et le baptisa en silence.

Will se trouva vite dépassé et les quintes de taux chargées de sang redoublèrent, la guérison s'éloignait inexorablement.

La deuxième partie, quand plus tard, dans le récit, Edith "rigide le regard planté droit devant p305" suivit son père adoptif, contre son gré, elle avait 16 ans. Les conditions d'une survie chère à David Thoreau dans cet écrin de beauté, n'étaient toujours pas au rendez-vous. Jimmie, le commis avait du mal à retrouver celle qui l'avait charmé et mis sur les charbons ardents de la passion. Edith voulait se faire un nom dans le Music hall ! C'est surprenant de penser que l'absence totale de musique, mais une présence quasi permanente des moutons ! ai fait naître une telle vocation !

50 années après on retrouve Jimmie, vieil homme solitaire, le seul sans doute qui suivi les préceptes de Thoreau et qui semble goûter cette nature âpre qui lui ressemble.
Elise, c'est sûr va réussir , le couple qu'ils forment avec Herbie est plein de soleils de bonne humeur et leurs filles sont venues leur apporter une sérénité et un but ; leur apprendre la vie d'ici sur l' île où la maison bien isolée est devenue douillette et accueillante.
On ne sait toujours pas, quelle est la race si précieuse, suffolk, southdown, Blackface, Hampshire...qui leur apporte avec la laine leurs seuls revenus. L'élevage qui arase la terre sera-t-il finalement remis en question ?

Les événements semblent les conduire au désastre. Les blessures de guerre d'Herbie se réveillent douloureusement, les tracasseries de l'administration, la présence deux jeunes soldats inexpérimentés venus les protéger ! Rien ne va bientôt plus, plus rien ne tourne dans le bon sens à San Miguel malgré l'engouement médiatique que suscite nos trappeurs.
La guerre a éclaté, le couplé est en proie aux doutes.

Celui qui nous a enchanté par son ardeur à défendre la cause écologique, qui a rêvé comme Herbie, ou Elise d'une vie possible sur cette île rebelle, comme un défi lancé à David Thoreau et son célèbre Walden, T C Boyle nous ramène aux implacables réalités de la nature sauvage.

On pense aux îles Irlandaises les Blaskets où la population à fini par céder et fuir leur rocher. Les incidents mineurs prennent brusquement une ampleur stratosphérique ; pas d'avion, les conditions sont trop mauvaises, une toux ravageuse, un animal blessé, et c'est le drame.

Ce qui rend un tel roman attachant c'est son pouvoir de pousser les êtres à leurs limites extrêmes, d'altruismes, de dévouement, d'émerveillement, ici sur l'île on ne triche pas, on doit faire face, s'écouter se comprendre.
TC Boyle trace ainsi de très beaux portraits d'où émergent trois femmes étonnantes qui vont au bout d'elles mêmes : Marantha luttera pour surmonter sa tuberculose, malgré tous ses drames conjugaux et donnera l'envie de vivre libre à sa fille Edith, Edith devenue Inez Deane sera une reine de la scène fidèle à ses rêves bucoliques, Elise avec son énergie peu commune a pris en charge l'enseignement de ses filles et porté à bout de bras un Herbie assailli par les tourments.

Une magnifique saga d'une surprenante originalité, plus l'envie fébrile de fouler cette île dont il ne parle pas assez, de sa flore comme de sa faune.
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