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Critique de Levant


Femme de réconfort : dans Filles de la mer ce statut n'a rien de celui d'une mère ou grand-mère consolante. Mary Lynn Bracht a choisi de revenir sur le passé récent de son pays et porte à notre connaissance, ou rappelle à notre mémoire selon la culture que nous avons de cette région du monde, les déboires qui font partie de l'histoire de la Corée, son pays d'origine, depuis la fin de l'empire coréen en 1905 et son entrée sous protectorat japonais.

Où l'on se rend compte que, comme l'histoire l'a souvent établi, ce terme de protectorat est un doux euphémisme qui restitue très mal la réalité du statut instauré pour le pays dit "protégé". Asservissement, exploitation, extinction de la culture et des traditions locales avec à la clé le lot considérable de victimes que provoquera toute forme de résistance à l'assimilation. Jusqu'en 1945, le Japon a donné libre cours à son expansionnisme débridé en extrême orient avec la bénédiction de son vénérable empereur élevé au rang de divinité.

Avec cet ouvrage, son premier, l'auteure veut réhabiliter la mémoire de toutes celles, comptées par dizaines de milliers - c'est à peine croyable - que les troupes d'occupation japonaises ont pudiquement affublées de cette étiquette, femmes de réconfort, pour qualifier en réalité celles, jeunes filles le plus souvent, voire très jeunes, soustraites de force à leur famille pour peupler les bordels militaires partout où leurs troupes étaient en campagne. Pratique que le Japon a toujours refusé de reconnaître. Pratique pour laquelle les malheureuses victimes, devenues esclaves sexuelles, n'osaient pas demander réparation au risque de salir la réputation de leur famille, tant dans la culture coréenne la pureté sexuelle est une valeur fondamentale.

Hana est une de ces malheureuses. Envoyée en Mandchourie elle devient le jouet de plaisir des soldats japonais embrigadés dans l'impérialisme de leur tyran déifié. Elle s'est sacrifiée pour soustraire sa petite soeur à ce triste sort. Soixante ans plus tard, cette dernière cherche toujours à connaître le destin qui a été réservé à sa soeur et culpabilise d'avoir été sauvée par elle.

Outre la triste destinée réservée à ces malheureuses, le sujet est d'autant plus poignant du fait du silence dans lequel se sont enfermées les victimes pour le respect de la pudeur imposée par leur culture. Par chapitres alternés Mary Lynn Bracht nous fait vivre le calvaire de Hana en 1943 et la tourmente de sa soeur Emi qui toute sa vie n'a cessé de la chercher.

L'écriture fluide ne confère pas la même qualité à la lecture, perturbé que peut être le lecteur par les sévices subies par ces jeunes filles, dont beaucoup y ont laissé leur vie. D'autant que le texte souffre malheureusement de métaphores assez maladroites du style "de la couverture en laine qu'une personne bienveillante avait offerte pour tenir chaud à la statue". Gageons qu'il s'agit de péchés de jeunesse pour un premier roman suscité par une volonté farouche, ô combien louable, de réhabiliter ces pauvres femmes et les sortir de l'oubli. Dont on sait qu'il est la deuxième mort de la personne. La traduction ne m'a pas parue non plus très heureuse. Certaines expressions sont celles d'un parler trop populaire pour un texte qui traite d'un sujet éminemment grave.

Il n'en reste pas moins que j'ai apprécié cet ouvrage pour son intention, son ouverture sur cette page d'histoire d'un Extrême-Orient qui ne nous a pas toujours été étranger. Son rythme enlevé restitue parfaitement les péripéties qui ont enseveli la pauvre Hana dans la bassesse des comportements humains. Et surtout l'incommensurable détresse de cette jeune fille arrachée à l'affection des siens, en gardant bien à l'esprit, comme le rappelle Mary Lynn Bracht en fin d'ouvrage, qu'elles ont été des milliers comme Hana livrées à ce triste sort humiliant.
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