— Tu n’as pas besoin d’être une femme pour être guérisseur, tu le sais.
— Et tu veux que ça marche comment ? Dès que quelqu’un sera un peu méfiant, je peux finir pendu. Ils peuvent même me brûler au bûcher pour faire bonne mesure.
— Et alors, c’est quoi la différence ? Tu crois qu’il y aurait ne serait-ce qu’une once de risque en plus pour toi que pour une femme ?
Elle tapota son épaule de sa main froide.
— Tu n’aurais même pas de mari dans les jambes envers qui justifier chacun de tes actes. En fait ce serait nettement plus facile pour un homme de faire mon travail.
Jehan se retint de répliquer ; cela n’allait mener nulle part.
— Quoique, d’un autre côté, continua-t-elle en semblant s’adresser à elle-même en gloussant, un fringant mari te ferait sûrement un bien fou par ailleurs.
— Grand-mère, je t’en prie !
— Est-ce que c’est un baiser que tu veux, comme paiement de ton aide ?
— Je... ne...
Dans la tête de Jehan, une voix lui cria de dire oui, une autre de dire non et de se sauver le plus vite possible. Mais il n’en fit rien. Il était pris au piège, incapable de décider quelle allait être l’option la moins douloureuse à long terme.
Giraud de son côté ne s’embarrassait visiblement d’aucune de ces considérations.
— Très bien, dit-il nonchalamment. J’embrasse bien d’après ce qu’on dit. Certes, je n’ai jamais encore embrassé un garçon, mais ça ne devrait pas m’étonner de vous autres sorciers : finalement vous avez une réputation plutôt lubrique.
Il fit un petit rire, à la fois amusé et intimidé, et s’approcha de Jehan.
— J’en ai envie aussi en fait, tu sais ?
— Je... C’est au sujet de Giraud, le forgeron.
— Ainsi c’est donc lui ? C’est pas trop tôt.
Sa mine s’éclaira et laissa transparaître une certaine attente. C’était déjà bien mieux que ce qu’il avait craint.
— Donc tu es au courant ?
— J’ai eu des doutes. Elle paraissait plutôt contente d’elle-même.
— Et ? Qu’est-ce que tu en dis ?
— À la rigueur utilise de la salive, mais il vaut mieux de l’huile. De l’huile d’olive en particulier.
— Pardon ? Jehan prit quelques secondes pour tourner la phrase dans tous les sens, espérant y trouver un quelconque rapport avec le sort qui le préoccupait, mais en vain.
— Grand-mère, je suis désolé, mais je n’ai vraiment aucune idée de ce que tu veux me dire.
— Oh mon pauvre enfant... Bien sûr qu’avec ton innocence tu ne peux pas comprendre.
Elle lui tapota la main et poussa un soupir aussi bien d’indulgence que de lassitude.
— Ça finira par prendre sens, tu verras.
— L’amour est toujours le même, quel que soit sa forme, n’est-ce pas ? Entre deux hommes, entre deux faes de terres différentes. L’amour est toujours la forme la plus puissante de la magie.