Promets-nous, tome 1

Pourquoi les bonnes choses passent-elles toujours si vite quand les mauvaises semblent toujours s’éterniser ?

Mon cœur se serre lorsque je réalise à nouveau que ma vie se résume en quelques phrases sur ce bout de papier froissé. À quelques mots délébiles, effaçables, que la pluie vient de diluer. Simples à oublier. Faciles à jeter. Comme moi.

On me dit souvent que je ne fais pas mon âge, que je parais plus jeune. Je pense que c’est parce que la faim se nourrit de tout ce qui pourrait me faire paraître plus vieille. Je ne suis pas très grande et plutôt maigre, ce qui me donne un côté fragile que j’ai toujours eu du mal à assumer. Ça me rend vulnérable. Je déteste ça.

Ses longs cheveux blonds se balancent en rythme dans son dos. Je passe distraitement mes doigts dans les miens, d’un brun terne, s’arrêtant au-dessus de mes épaules. C’est plus facile de les porter courts lorsque l’on vit dehors. Ça pose moins de problème pour les entretenir. Ça attire moins de regards.

Je déteste avoir besoin de formuler à voix haute mon statut de sans-abri. Je déteste avoir à lire ce mélange de pitié et de dégoût dans le regard des autres une fois l’aveu prononcé.

Je ne suis rien. Je ne suis personne. Je ne vaux rien. Ces phrases font tellement partie de moi que je les sens pratiquement dans mes os. Elles sont liées à ma chair, mélangées à mon sang, nichées dans tous les recoins de mon être, de celle que je suis devenue. Je crois que je me hais autant que tous ces gens qui ne cessent inlassablement de me détruire. Je me hais de ne pas être capable de leur montrer que je suis plus que cette fille en miettes. Je me hais de ne plus en être capable.

Aucun chef d’entreprise lucide ne déciderait de prendre pour employée une môme ayant passé sa vie en foyer d’accueil sans jamais sortir une seule fois du système, et qui plus est avec un casier judiciaire dans la poche. Qui est-ce que je crois duper avec mes espoirs d’avenir ? Pour qui est-ce que je me prends ?
Tu n’es rien. Tu n’es personne. Tu ne vaux rien.

Déchirante et assassine. Tranchante de vérité. Elle se mêle à toutes les précédentes, plus anciennes, et bientôt je ne peux plus en démêler aucune. Les mots font écho à d’autres, plus violents, plus terribles, et je panique. Je panique tellement que mon corps me lâche.

Au moins, j’ai une chambre pour moi tout seul. Elle n’est pas gigantesque mais elle fera l’affaire le temps que je trouve un moyen de foutre le camp d’ici. Je jette mon sac à dos sur le lit avant de m’avancer vers la fenêtre donnant sur la rue déserte. Je devrais dormir, mais je ne suis pas sûr d’y parvenir.

J’ai été abandonnée à la naissance. Pour ce que j’en sais, personne ne m’a jamais aimée. Pour ce que j’en sais, l’amour détruit plus qu’il ne construit.