La Nef des fous

(Une histoire qui se répète)
~1494
Autrefois on portait la barbe avec fierté
maintenant les hommes sont attifés comme des femmes.
Ils enduisent leur figure de pommade de singe
et suspendent autour de leur cou nu
de nombreuses chaînes et des anneaux,
comme s’ils devaient comparaître devant St. Léonard.

J'ai déjà un pied dans la tombe
Mais fou je reste jusqu'au bout

Je mène la danse des fous
Car suis bien entouré de livres
Points lus, auxquels je n'entends rien.

Vrai fou qui prétend faire un feu
Pour aider le soleil à briller
Et veut allumer des brandons
Que soient plus ardents ses rayons.

Qui trop demande de services
Pour nul merci, pour nul salaire
Mérite bien au cul la pelle.

Sagesse n'est plus honorée
L'honnête est le dernier servi
Est mis à la portion congrue,
Il ne faut plus parler de lui;
Et qui n'aspire qu'aux richesses
Habile à s'enrichir bien tôt,
Fait l'usurier, nuit, tue, se damne,
Est félon contre son pays.
Il en va ainsi par le monde:
L'argent fait de méchantes gens.
Justice au plus riche est vendue
Et l'argent, il vous ferait pendre
S'il n'aidait pas à vous dépendre;
Pour lui reste impuni le crime.
Te le dis tel que je le pense:
Au gibet pend menu fretin.

(Du mépris de la pauvreté, p.243)

Ne t'imagine pas
que nous soyons les seuls
au monde à être fous :
nous avons des confrères,
du fretin et des huiles,
partout sur cette terre,
nous grouillons tellement
qu'on ne peut nous compter ;
nous naviguons en rond
de Narbonne en Cocagne
et jusqu'à Montflacon
vers la Narragonie.

Celui qui introduit des modes nouvelles
suscite le scandale et la honte
et tient le fou par la main.

Malheur à celui qui provoque la honte !
Malheur à celui qui la tolère !

Des fous j'ouvre la danse
car tout autour de moi
j'accumule les livres
que je ne comprends pas
et jamais je ne lis.