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Critique de Apoapo


[Préface personnelle et peut-être prolixe. Depuis longtemps, je pose à mes amis musiciens et à quelques livres de musicologie deux questions, sans obtenir de réponse satisfaisante – dans celui-ci, quelques bribes de réponse me sont cependant parvenues – et hélas, je crains que ma frustration par rapport à ces livres se reflète dans une attention trop sélective au profit de ma propre problématique et dans ma notation sans doute trop sévère. Mes questions : 1. Qu'est-ce que j'aime dans la musique que j'aime ? 2. Pourquoi, contrairement aux autres oeuvres d'art qui m'indiffèrent si je ne les aime pas, je manifeste des réactions de profonde intolérance, de rejet physique, de refus même intellectuel vis-à-vis des genres et morceaux musicaux que je n'aime pas ? J'ai eu la chance (générationnelle) d'avoir été très réceptif – parce qu'à peine post-adolescent – à la lecture, dès sa parution (1993), de l'essai atypique de Claude Lévi-Strauss, Regarder écouter lire ; il a donné alors à ma première question une saisissante réponse, étonnante, éblouissante, conforme au paradigme structuraliste (comme je le découvrirais plus tard) : peut-être j'éprouve la nostalgie incurable d'un approfondissement ou de « variations sur le thème » de cette réponse, ou bien d'une autre plus conforme à ma maturité survenue...]

Le sous-titre de cet essai promet un essai sur l'écoute, sujet peu abordé en musicologie, et de surcroît des recettes théorico-pratiques visant à en améliorer la qualité. Autre caractéristique sympathique : il est rédigé sous forme de dialogue avec un personnage imaginaire, Mademoiselle Croche, ce qui promet une prose primesautière et abordable au non-spécialiste que je suis. Je ne dirais pas que les deux promesses n'ont pas été tenues, mais peut-être dans une moindre mesure que je ne l'espérais. À essayer de le « soupeser », l'ouvrage contient surtout de l'histoire de la musique savante occidentale, en deux formes qui parfois comportent des répétitions – notamment au sujet du « problème » de la musique contemporaine, particulièrement la musique atonale des années 1945-1965.
Après un chapitre introductif sur « Les langages de la musique », le « gros morceau » est une « Histoire des éléments de la musique », autrement dit des « outils du compositeur » : le rythme, la mélodie, la polyphonie, l'harmonie, le timbre, l'intensité, la localisation. Ce chapitre, à lui seul, compose presque un tiers du livre ; l'auteur prend toutes les précautions possibles pour le rendre digeste, car il redoute un excès de technicisme. Personnellement, j'ai trouvé que c'était incontestablement le plus intéressant, grâce à sa mise en perspective historique à laquelle je n'avais pas pensé, et il ne m'a semblé d'un abord aucunement ardu. Ensuite, après un interlude sur la différence entre « entendre » et « écouter », l'auteur aborde les « outils de l'écouteur », dans deux chapitres : « V : Que faut-il entendre par écouter », composé de 13 étapes pour conscientiser l'écoute, et de : « VI : Écouter comment ? », composé d'un décalogue de suggestions pour agrémenter ladite écoute. Je reproche au premier de commencer par enfoncer des portes ouvertes et de se terminer par des étapes quasi inatteignables sans avoir à sa disposition la partition de l'oeuvre que l'on écoute et, bien entendu, la compétence pour savoir la lire. Je reproche au second d'être bavard et décousu. Ensuite, après un second interlude - « VII : du mystère de la trinité : compositeur, interprète, auditeur » - arrive le second « plat de résistance » : « VIII : Histoire de l'écoute ». de nouveau, l'intérêt se ravive, d'autant que cette histoire est aussi celle des conditions de l'écoute, des comportements des auditeurs, des conditions matérielles de la réception musicale – une question qui a déterminé aussi la figure et la liberté du compositeur, mais qui, abordée depuis la perspective du public, est très originale. La nature exceptionnelle du XXe s., pour les mélomanes aussi, se décline en fait en une multiplicité d'éléments, dont l'enchevêtrement mériterait peut-être d'être souligné, et dont un seul consiste dans la fameuse réflexion de Walter Benjamin sur la reproductibilité technique de l'oeuvre d'art, démultipliée exponentiellement ces dernières années par les ressources presque inépuisables d'Internet : « Le public d'avant-hier se cantonnait à écouter avec constance sa centaine de 33 tours, celui d'hier puisait avec délectation dans son millier de CD, celui d'aujourd'hui moissonne librement dans des bases de données de plusieurs millions de fichiers pour constituer sa playlist. Il butine, faisant son miel de toutes fleurs. » (p. 271).
En conclusion, compte tenu surtout des deux grands chapitres historiques, je constate que le thème de l'écoute n'est peut-être pas aussi prépondérant qu'il semblerait, que son côté « manuel d'instruction » en particulier laisse à désirer, que le technicisme du livre n'est pas du tout gênant – grâce aux annexes, aux très nombreuses notes de bas de page, à des tableaux récapitulatifs – ; la forme du dialogue contribue à égailler la prose, mais elle possède l'inconvénient de favoriser les redites et de ne pas empêcher une certaine dispersion du propos – en cela, la fiction du dialogue spontané est totalement réaliste ! - dans ces conditions, cette lecture enseigne beaucoup et le fait agréablement.
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