AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de EvlyneLeraut


Agissant, magnétique, « Walter Kurtz était à pied » est prodigieux. Landes d'une Science-Fiction en apogée, ce récit dévorant ne laisse pas indemne. Nous sommes en plongée dans un monde éloigné d'un lunaire olympien d'une certitude avérée de calme. Accrochez-vous aux branches ! Deux mondes opposés, dualité, vivent dos à dos sur une terre futuriste, ravageuse et étrange. On a l'impression vive de côtoyer « Mad Max ». La littérature anticipatrice rentre en action. Nous sommes dans ces degrés où les tiroirs s'entrechoquent. La trame aboie, belle et souple, avance sans compromission. Forte comme une liqueur, elle arrache toute idéologie, tendresse et romance. Emmanuel Brault est doué, très. Il ne cède rien et ce récit tient son majeur aussi dans cette constance de ton. Deux peuples : des Roues et les Pieds. Les des Roues vivent dans leur voiture, brûlent les kilomètres : les K-plat. L'argent : des points. Nomades, l'espace de vie sont les routes. Les arrêts se font dans les stations. Conditionnés, stéréotypés, tels des robots, ils sont en proie à une dictature sournoise. Rouler, avaler les kilomètres. Leur voiture est l'emblème manichéen d'une liberté floutée. Dany, Sarah et leur père sillonnent les routes. « Les rochers semblaient nous escorter vers un monde meilleur. Là où il n'y aurait que la route, sans les contraintes. » Leur Peugeot est le symbole d'une puissance cartésienne. Rien ne peut déraper. Dans cette sphère de métal et de fer, de rivalités entre les modèles des voitures, ils ne peuvent trouver de point de chute. Leur monde est vaste. Les routes sont l'habitus, criblé de dangers. le monde d'en face est celui des les Pieds. Attention ! Ces hommes et femmes et enfants, nomades affamés, étranglés de haine et d'un nihilisme aux abois sont des hordes sauvages. Et pourtant, il aurait peut-être fallu rassembler l'épars avant de condamner. On pressent le cru d'une âpreté, ces survivants immensément libres malgré les torpeurs. Abreuvés aux rites, aux passages initiatiques, au langage des tombes, aux attitudes ancestrales éloignées de tout entendement. Leur langage est perte de sens, de raison et d'estime. Et pourtant les symboles percent et abreuvent ce peuple d'une philosophie à bâtir. Ce peuple des les Pieds est sans doute le frère ou la soeur d'hier. Echappés d'un enclos mental, leur prison est le rejet. L'écriture est le lever de la lune. Apaisante et superbe elle colore cette histoire d'asphalte, d'êtres en prise avec le néant, la perte de tout. Lisez juste ce morceau d'écrin : « D'un côté, dit-il, s'échauffant de plus en plus, le visage rouge vif ; les Roues, leurs K-Plat, leurs galeries et leur désir d'acheter, de l'autre, les Pieds, silencieux, fanatiques, poètes. Il faudrait écrire quelque chose à ce propos, quelque chose d'unique, qui n'aurait jamais été fait. La description objective… Je dis bien objective, des Roues et des Pieds, de l'archaïsme et du modernisme, de l'homme avant et de l'homme après, le passé et le futur dans un mouchoir de poche, avec la panse au milieu. » Cette histoire méritante interpelle et alerte. Bien après la lecture, on reste sensible à l'avancée d'une voiture au creux de la nuit. Emue par cette violence des les Pieds qui est un signal. Ce récit est riche de signaux et sa portée reste bien après le point final. On regarde par la fenêtre, on imagine ce monde si bien décrit dans « Walter Kurtz était à pied. » Serait-ce nous dans l'aube d'un demain ? A méditer. En lice pour le Prix Hors Concours 2020. Publié par les majeures Editions MU.
Commenter  J’apprécie          71



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}