J`ai fait beaucoup de ronds avant de venir à l`écriture, un vrai poisson dans son bocal. J`écrivais au gré de mes inspirations. Par exemple, je me trouvais dans un train, je me mettais à écrire sur ce train, ses passagers, ce qu`ils lisaient, disaient, leurs rires et leurs gestes. J`ai fait des concours de nouvelles. J`ai écrit des romans inachevés. Je n`allais jamais plus loin qu`une cinquantaine de pages. Parfois, pendant des années, je n`écrivais pas une ligne. Par contre, je ne m`arrêtais jamais de lire. Toutes sortes de livres. Et je visionnais beaucoup de films également.
Un jour, ce fut la crise. J`avais perdu mon travail. J`étais seul. L`écriture devint un impératif. Je me suis assis sur ma chaise, celle que j`avais ramenée de mon travail en partant, et pris une décision solennelle : j`écrirais un roman et cette fois, je ne m`arrêterais pas en chemin, quoiqu`il advienne, même s`il s`avérait médiocre. J`ai mis quinze mois pour l`achever. Je découvris la paix chaque matin à ma table. Je ne fus pas publié mais ce n`était pas grave : j`en écrirais d`autres ! Les Peaux rouges fut mon deuxième roman, écrit à cheval entre 2014 et 2015. Les éditions Grasset me contactèrent dix jours après l`envoi de mon manuscrit.
Le thème du racisme intéresse, interpelle, énerve. Il passionne. Il provoque débats et remous. Untel est raciste, untel n`est pas raciste. « Je ne suis pas raciste mais... » Je tenais un matériau intéressant pour un roman. le sermon (« le racisme, ce n`est pas bien ») ou la provocation gratuite ne m`intéressaient pas. Un roman ne juge pas. Il ne doit pas juger. le sujet était tellement sensible qu`il me fallait passer par la fable, faire le pas de côté grâce auquel je serais à l`aise pour y aller à fond.
J`ai caricaturé notre société. Je me suis appuyé sur des détails que j`ai exagérés et recombinés différemment dans mon roman. Amédée Gourd, mon personnage principal qui est raciste, peut exister, il existe. Je le visualise très bien à gueuler sa haine au bar du coin. Autre élément, Amédée Gourd est condamné à de la prison pour « injures racistes non publiques ». Dans la réalité, ce type d`injures est sanctionné par une simple contravention. Aujourd`hui, les thérapies de groupes pour soigner toutes sortes de maux sont nombreuses, de nouvelles addictions, réelles ou supposées, voient le jour (l`absurde « addiction sexuelle » par exemple). Se faire soigner pour « délire raciste » avec ce genre de méthodes ne me semble pas irréaliste.
Je me suis plutôt appuyé sur le parler des romans à la San Antonio, et sur les films noirs français des années 1950-60. Les Gabin, Lino Ventura, Bebel et autres. Cent mille dollars au soleil, Touchez pas au Grisbi, La Métamorphose des cloportes, Mélodie en sous-sol. Cette langue riche, drôle, inventive. Dans un de ces films (je n`arrive plus à retrouver son titre), Jean Gabin traite d`ailleurs son ami de « peau rouge » parce qu`il est habillé un peu bizarrement avec des cravates bariolées.
La littérature est l`ennemi absolu des quotas et autres considérations sociologiques. Ce qui est important, c`est l`histoire, le personnage. S`il s`avère que c`est un populo, un aristo, un unijambiste ou un nain, peu importe, il faut le prendre, il faut raconter son histoire.
Amédée Gourd, mon personnage principal, m`a pris la main et il m`a chuchoté son histoire avec cette façon si particulière, chantante, de parler. Je me suis pris d`affection pour lui, parce qu`il représente cette part de colère que nous avons tous en nous.
Aucun en particulier. Bien des livres m`ont transporté mais aucun ne m`a décidé à écrire. L`écriture relève pour moi d`une démarche personnelle, d`une évolution, qui doit autant aux romans qu`à ma vie. Cela dit, je n`ai plus jamais été le même après avoir lu Louis-Ferdinand Céline...
Je ne raisonne pas de cette façon. Cela signifierait que je suis extérieur au livre, que je l`observe comme un scientifique avec des lunettes de protection et la blouse. Un livre, je rentre dedans ou je me laisse prendre, c`est très charnel. S`il est bon, il doit m`avoir changé, un peu.
Jeune, j`ai dévoré tout Agatha Christie. Ce fut ma première découverte littéraire. L`ordonnancement mystérieux de ses personnages qui emporte tout, malgré ses clichés et les inévitables trucs propres au genre policier. Je relis régulièrement Dix Petits Nègres ou quelques autres classiques avec Hercule Poirot.
Les Particules élémentaires. Michel Houellebecq décrit la solitude de l`homme moderne comme personne. le personnage houellebecquien erre au milieu d`un supermarché au néon blanc et hésite entre deux boîtes de raviolis.
Plein ! Je relis beaucoup, ce qui ralentit d`autant ma connaissance de nouveaux auteurs. Mes trous sont des gouffres. Disons Eugène Ionesco que j`ai peu lu.
Je ne suis pas un découvreur, j`aime les classiques que je lis et relis. Mémoires d`un tricheur de Sacha Guitry n`est pas une perle méconnue, c`est une perle tout court ! La langue de Sacha Guitry se déguste comme un chou à la crème. Elle est sucrée et légère.
Les romans de Jean-Paul Sartre m`ennuient.
« L`utopie, c`est le grotesque en rose. » (Emil Cioran dans Histoire et utopie).
Je viens de finir Crash ! de JG Ballard, qui a inspiré le film de David Cronenberg plus tard. Une poésie urbaine dans laquelle l`homme et la machine ne font plus qu`un, le sang et le sperme giclent sur les tableaux de bord dans des accidents-coïts libérateurs. A la fin, j`avais l`impression d`avoir des marques de capot sur le corps !
18 juil. 2020 Découvrez l'enregistrement de la rencontre avec Emmanuel Brault le 9 juillet 2020 à la librairie La Virevolte à Lyon. L'auteur nous présente son roman, Walter Kurtz était à pied, paru chez Mu Editions. Emmanuel Brault a reçu le prix Transfuge pour son premier roman, Les Peaux rouges, paru chez Grasset.
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