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Critique de MarcCharmois


Ce livre illustre le mode de vie de la « beat génération » et son passage, ensuite au mouvement hippie ou « beatnik ». Il illustre ces mouvements à la fois par l'histoire narrée, mais aussi par le style littéraire employé et qui va se transformer au fil du livre. Très bel exercice de style de Brautigan dans ce livre.

Au départ une amitié naît entre ce qu'on appelle deux "clochards célestes", ces personnes qui ont décidé de ne pas souscrire au mode de vie « main-stream » proposé par la société (pas de travail, pas d'argent, des moeurs libres), mais qui le font par conviction et qui cultivent la littérature et la poésie et surtout la poésie de la vie, la poésie de l'instant.
On retrouve des personnages similaires par exemple dans les parents du film "le château de verre". Ils étaient beat, mais pas hippie.

On retrouve les thèmes chers à la « beat generation » : vivre à contre-courant de la société de consommation, ne pas être matérialiste, être dans le contre-culture américaine.
Pas de travail, pas d'argent, mais on s'en fiche, pas de logement non plus si ce n'est du précaire, du nomadisme, et surtout des moeurs libres à contre-courant du puritanisme américain. Et aussi un peu de rébellion, d'illégalité.
Être original dans son mode de vie aussi, sa manière de voir le monde, sa manière de penser.

Les deux héros du début sont typiques de la première génération beat, Kerouac, Burrough, ce sont des clochards célestes.
Puis dans la deuxième partie, il y a naissance d'une communauté hippie avec les deux filles.
Les deux filles sont plus de type hippie que beat.
Elles sont belles, les hippies devaient être beaux, comme l'a fait remarquer Houellebecq dans les particules élémentaires. Il y a aussi l'importance du vêtement chez les hippies qui n'était pas présent chez les beats. Chez les hippies le costume est très important, la coiffure aussi.
Les beats sont nomades mais les hippies se fixent dans un lieu et font communauté, même s'ils leur arrivent de changer d'endroit de temps à autre, mais ce n'est plus du vrai nomadisme.
Les beats sont des hommes, nomades, sur la route, les hippies sont mixtes et vivent en communauté. Si des enfants naissent ce ne sont pas des enfants d'une famille mais les enfants de la communauté.

Avec les hommes, au début, on est dans la poésie des beats, une poésie du voyage, une poésie littéraire, quand les femmes apparaissent, on passe dans le psychédélique. D'où le côté de plus en plus absurde de la deuxième partie.
Au début, avec les hommes, on est surtout dans l'alcool, quand les femmes apparaissent on passe dans les drogues, les paradis artificiels.
Il y a comme l'illustration du passage de l'ère beat (années 50-60) à l'ère beatnik ou hippie (années 60-70).
Derrière l'histoire, il y a la propagande d'un mode de vie, et l'illustration d'une façon de voir la vie, le monde, les modes de relations. C'est la propagande d'un mode de vie et le style du livre lui-même illustre ce mode de pensée : poésie, rêverie, sens de l'absurde, culture de l'absurde, d'une vision psychédélique du monde et des relations, aidée par l'usage de stupéfiants.
L'argent est méprisé.
On doit sortir de sa zone de confort et accepter de ne pas toujours manger à sa faim, de loger dans des conditions précaires voire insalubres, ne pas avoir accès aux soins médicaux (les dents de Lee Mellon) et accepter de devoir pratiquer des activités illégales, la triche, le vol, se cacher des autorités, de la police.

Le lieu de la deuxième partie, Big Sur est très important.
Ce lieu se situe entre San Francisco et Los Angeles sur la côte. Il est désertique et aride. Il culmine à 1600 mètres et se jette dans la mer, c'est très abrupt, il y a beaucoup de falaise. C'est un des derniers endroits des Etats-Unis, du coup à avoir été civilisé. Ils ont été raccordés au réseau routier et ont reçu l'électricité très tard.

Ce n'est pas un hasard si Henri Miller, le grand père de la « beat generation » avait choisi ce lieu pour sa retraite quand il est rentré aux Etats Unis.
Miller est le père de la « beat generation ». Les moeurs évoquées dans ses livres lui ont valu une censure sévère outre-Atlantique : ses livres étaient interdits aux Etats Unis, mais pas en France. Pour autant, les livres de Miller étaient lus aux Etats Unis, importés et lus en toute illégalité. Donc quand Miller est rentré au pays, il a aussitôt pris le maquis. Big Sur, à l'époque, c'était un peu le Larzac des USA.
Ce qui explique que les écrivains Beat, dont Brautigan, sont pratiquement tous venus vivre à Big Sur.
Je crois qu'il y a le musée Henri Miller là-bas. D'ailleurs, dans le livre, à un moment, ils croisent Henri Miller.

Voilà, un livre plein de poésie, beat, psychédélique qui montre une autre façon de vivre. A la croisée de la propagande, du reportage, de la réflexion sur un autre mode de vie, et écrit avec ce même style poétique, littéraire, psychédélique. Une ouverture sur d'autres mondes, modes de vie, sur d'autres possibles.

Cela étant, on peut critiquer ce qu'ont été les mouvements beat et hippie. Ça fonctionnait pendant les trente glorieuse, la période d'abondance, il y avait profusion alors on pouvait choisir le dénuement, parce que justement il y avait abondance et surconsommation. Quand les crises économiques sont arrivées, il n'était plus raisonnable de se priver, ça devenait très dur dans un monde devenu très égoïste. Peut être que la privation, le manque étant devenus « main-stream », il n'était plus de bon ton de se priver pour être dans la contre-culture, ou du moins ça n'avait plus aucune utilité pour marquer sa différence.

Et puis les mouvements beat et hippie reposaient sur une contre-culture et un style de vie. Les beats étaient encore très poétiques, inspirés, littéraires, mais avec les hippies, c'est devenu beaucoup plus superficiel, basé sur le style, la beauté, la jeunesse.
Les gens n'étaient pas vraiment liés par quelque chose de profond, mais la superficialité d'un mode de vie, d'un style de vie, de moeurs libres.
Finalement, les beats et les hippies ont très mal fini. Brautigan s'est suicidé, Kerouac est devenu asocial, violent, méchant.
Leurs enfants ont beaucoup souffert. Cette souffrance des enfants de l'époque, maintenant adultes, a parfois inspiré, à son tour, des oeuvres narratives comme les particules élémentaires de Houellebecq ou le film "le château de verre".
Il manquait peut-être aux hippies une réelle vision, une réinvention profonde du monde, une vraie contre-culture, une spiritualité authentique.
Mais finalement, lire ce livre fait du bien. C'est une grande bouffée d'air pur, de liberté, de poésie, de légèreté, et de joie, de lâcher prise.
Il ne faut pas oublier que les années 68 ont été nommées "la parenthèse enchantée", les gens ont atteint à l'époque un niveau de légèreté, d'insouciance, inouï, jamais trouvé ni avant, ni après : pas de crise économique, le plein emploi, la libération sexuelle, pas de Sida, idéalisme, poésie, théâtre et musique en permanence sur fond de fêtes, de drogues, d'alcool... Cette légèreté, cette insouciance manque beaucoup aujourd'hui, c'est pour ça que de temps en temps, ça fait du bien de se souvenir qu'on a vécu ça car rien ne nous empêche de nous remettre dans cet état.

J'ai beaucoup aimé ce livre de ce point de vue, et aussi pour son originalité, à mi-chemin entre la poésie, la littérature et l'humour.

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