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Critique de LZ


LZ
23 janvier 2021
Freeman de Roy Braverman est un (gros) thriller/polar, qui se lit d'une traite. 520 pages pour une plongée passionnante dans la Louisiane post-Katrina.

Direction le sud des Etats-Unis et la ville de Patterson en Louisiane : ses meurtres sordides d'ado black, ses alligators affamés de chair humaine, son bayou dégoulinant, ses ouragans dévastateurs, sa violence sourde et poisseuse, ses deux millions de dollars volés chez le chef de la pègre locale, ses flics intègres et puis les autres, mafieux et corrompus. Et ses cocktails, saupoudrés dans certains chapitres, qui mettent l'eau à la bouche. Freeman, c'est tout ça à la fois, c'est un peu le pendant littéraire de la série Treme (les meurtres en plus et la joie de vivre en moins).

Et dès le premier chapitre, intitulé L'oeil du cyclone, vous êtes plongés en plein cataclysme : « L'ouragan se déchaîne. Les bourrasques défoncent et emportent jusque sous le ciel noir tout ce qu'elles déchirent. Les traits de pluie, glacés et violents, fouettés par le vent, le cinglent comme autant de lanières. La pelouse est jonchée de projectiles hétéroclites qui retombent lourdement du ciel. Il pleut des barques, des barbecues, des poubelles. Des lampadaires. Des remorques. Tout ce que l'ouragan arrache sur l'autre rive du bayou Teche, il le crache sur cette pelouse. » (p. 5)

L'intrigue ? Deux flics que tout oppose ou presque sont obligés de travailler ensemble sur le viol et le meurtre d'un jeune garçon noir. Mais ces deux flics mènent aussi des quêtes personnelles : Doug Howard cherche son petit frère disparu, Zach Beauregard veille sur sa femme malade et en fin de vie. Et si ces deux personnages sont somme toute assez sympathiques au demeurant, le portrait brossé de la police du coin est assez peu reluisant :

« – Il n'y a plus de police, Louise. La police a depuis longtemps glissé dans le monde des voyous. Ça marche par arrangements, par corruptions, par rapports de force. Entre les voyous et nous, ce n'est pas l'ordre et la justice contre le crime et l'illégalité, ce sont juste deux équipes sauvagement adverses qui pratiquent le même sport. Nous jouons dans le même championnat morbide et cynique qu'eux. Nous ne cherchons plus à les éradiquer. Juste à compter les points.
– Curieux jugement pour un flic !
– Louise, à l'origine la police était là pour protéger les habitants de la Cité. Aujourd'hui, elle est là pour protéger la Cité contre ses habitants. Elle n'est plus au service des gens, c'est fini, elle est au service du système. La seule mission de la police, c'est de maintenir le système? Par la force et la répression. La police est devenue le bras armé du système pour en assurer la survie. Et tout ne va faire qu'empirer… ». (pp.143-144)

On trouve aussi Freeman, l'enquêteur dont la fille Louise avait été kidnappée (dans les précédents romans de la trilogie – dont j'ignorais l'existence et que je n'avais donc point lus). Et un personnage atypique (qui distille la petite pointe d'humour du roman) : Mardiros, le collecteur de dettes arménien. Ensemble, ils auront quelques démêlés financiers avec Sobchak, le parrain de la pègre locale.

Enfin, vous croiserez de nombreux autochtones peu conciliants : « C'est en se retournant pour voir à quoi d'autre s'attendre qu'il aperçoit l'alligator. Un monstre de quatre bons mètres. Trois cent cinquante kilos de fausse pesanteur préhistorique. Caparaçonné d'une armure d'écailles cornées et de plaques osseuses. le crâne incrusté de coquillages. La plus puissante mâchoire sur Terre. Quinze fois celle d'un rottweiler. » (p.6)

Mais la véritable héroïne du roman au fond, c'est la Louisiane et pas forcément sous son meilleur jour non plus. Roy Braverman en dresse un portrait où les clichés touristiques volent en éclat :

« Dans la chaleur de la nuit, le quartier français est abandonné aux touristes noctambules qui y déambulent et braillent en bandes, trop heureux de s'y encanailler. La ville et la pègre leur offrent l'ivresse des cuivres du jazz de Bourbon Street, du fumet des crabes bleus bouillis et des huîtres Rockfeller cuites au gros sel avec des épinards. […] Mais dans l'étouffoir du jour, le quartier revient à ses âmes damnées dans les relents de la nuit. Les recoins puent l'urine et les vomissures, que des noirs ou des dos mouillés rincent avec nonchalance d'une eau bleue et savonneuse. Des chats borgnes, maigres et pelés, jaillissent de trous d'ombres noires et volent au passage les restes de salami d'un muffuletta piétiné que des chiens faméliques leur disputent aussitôt. des livreurs en uniforme déchargent et roulent dans un bruit de train les fûts de bière de la nuit à venir, et chargent bruyamment ceux vidés de la nuit précédente. « (pp. 153-154)

« Il roule deux heures jusqu'à cette Louisiane toute spongieuse de marais et de marécages. Plate. Liquide partout sous les herbes épaisses et les roseaux. Désolée. Comme abandonnée. Derrière de maigres bois imbibés, des raffineries sans vie tissent dans le ciel bas des Meccano métalliques. de pauvres maisons dispersées n'importe comment sur des parcelles d'herbe rase. Des enclos sans animaux. Des casses d'épaves rouillées comme des carcasses éparpillées. Des gens tordus et silencieux qui le regardent passer. » (début du chapitre 30)

Une Louisiane à l'image du roman où corruption et pègre s'ébattent joyeusement : « le territoire des bayous est truffé d'anciennes fabriques, de plantations abandonnées, de raffineries délaissées, de vieilles distilleries clandestines. Autant de refuges pour toutes les sectes et les déglingués du bulbe et de la bite, protégés des curieux par les bayous, les marécages, les forêts inondées, les salines et tous les alligators et les mocassins qui vont avec. Et protégés du reste par des flics, des juges, des procureurs, des sénateurs, des gouverneurs et des évêques corrompus qui viennent y assouvir leurs vices les plus vils. A chaque perversion sa secte, à chaque secte son protecteur ». (pp. 262-263)

Un climat poisseux, une intrigue tout en noirceurs où les personnages se croisent au gré des crimes et des vols de cash. Une spirale de violence, enivrée de cocktails dont les recettes sont données par Sobchak, le parrain du crime organisé local, expert autoproclamé en mixologie.

Un page turner que je vous conseille fortement, ne serait-ce que pour vous immerger dans cet art du récit mené de main de maître par Roy Braverman ! Et dans le bon ordre si vous ne voulez pas faire comme moi (mais la lecture isolée de Freeman n'est en rien réductrice) :
Hunter / Roy Braverman (chez Hugo Roman ; paru le 16 mai 2018)
– Crow / Roy Braverman (chez Hugo Roman ; paru le 14 mars 2019)

Et quand on découvre que Roy Braverman est plus connu sous le pseudonyme de Ian Manook, Patrick Manoukian, une nouvelle planète littéraire s'ouvre à vous : il est en effet l'auteur de la trilogie mongole à succès Yeruldelgger, parue chez Albin Michel entre 2013 et 2016 (et dont le premier opus a été récompensé en 2014 par seize prix des lecteurs dont le Prix des Lectrices de ELLE, le Prix SNCF du Polar et le Prix Quais du Polar). A rajouter sur vos To Read liste donc…



Lien : https://deambulationsrennais..
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