Après la saisissante lecture de
Pourquoi aurais-je survécu, j'ai voulu revenir vers l'oeuvre poétique très singulière d'
Edith Bruck, au travers, cette fois-ci, de
la voix de la vie, un ouvrage qui regroupe cinq de ses recueils publiés entre 1975 et 2021.
Dès les premières pages, j'ai retrouvé la même empreinte narrative, le même usage de mots simples, la même conviction, pour évoquer des sujets touchant à l'intime, à son histoire, la terrible épreuve du camp d'Auschwitz et le retour à la vie, à ce temps qui s'écoule malgré tout, malgré elle.
« Pour une fois, cette fois-ci, regarde-toi
dans le miroir !
Tu as deux yeux qui reflètent des horreurs
deux oreilles chargées de plaintes
un nez ambigu qui flaire les secrets
une bouche qui derrière des sourires
et des paroles faciles
révèle un esprit qui a vécu
et l'âme d'un papillon,
tu as deux épaules obstinées
lourdes d'un passé
qui pèse sur un coeur désarmé,
tu as un estomac gonflé de colère
les boyaux infectés de choses jamais digérées
apprends à jouer
marche, feins, cours ! »
Poésie en vers libres, sans rimes, il y a toujours dans l'écriture d'
Edith Bruck, un fait déterminant, une vérité qui émerge, qui alterne entre douceur et âpreté, un récit qui fait corps, qui donne souffle à la part la plus essentielle d'elle-même, à son histoire, à son vécu.
L'amour, la maternité, l'enfance, la sensualité, le corps tout entier aimant, les êtres aimés (ses parents), le corps souffrant, la vieillesse, la solitude indélébile, la mort, ce retour à soi, l'espoir toujours, le souvenir qui toujours mène à l'écriture.
« Ses frêles os m'émeuvent
ses pas m'attendrissent
comme s'ils appartenaient à un enfant
jamais né
à un père revenu. »
Comme en surimpression, l'émotion, la sensibilité des mots et des images traversent les pages du recueil, les poèmes font à eux-seuls le portrait d'une écrivaine touchée à jamais par le souvenir, la douleur mais aussi par l'envie d'être, de demeurer. Tout simplement.
« Autour de moi
il y a tout,
ce n'est pas grand-chose
mais pour quelqu'un comme moi
mis à l'épreuve
c'est suffisant
pour comprendre
que le plus important a été vécu
et que le renoncement
ne naît pas du néant. »
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