AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Lenocherdeslivres


Tous à Zanzibar, le Troupeau aveugle, À l'Ouest du temps, … Des titres qui ont franchi le temps et qui ont accompagné ma découverte de la littérature de science-fiction. Leur auteur, John Brunner fait partie de ces écrivains dont on a entendu parler et dont on sait qu'il a compté. Maintenant, un peu moins. Il fait partie des classiques, de ceux qu'on lira peut-être si on trouve un moment. En tout cas, ce qui est net quand on regarde sa bibliographie, c'est qu'il a écrit de la science-fiction et pas de fantasy. D'où ma surprise en découvrant le Voyageur en noir.

L'éditeur n'essaie pas de nous tromper. Au contraire, c'est presque un titre de gloire : le seul récit de fantasy (notable, car d'autres, moins intéressants, sont parus en V.O.) écrit par John Brunner. Et c'est bien vrai, nous sommes dans un monde habité de magiciens, plus ou moins adroits, d'élémentaires et de forces magiques, souvent égoïstes. Comme les êtres humains, en fait.

Mais avant d'aller plus loin, un petit mot sur la composition de cet ouvrage. Car, comme l'explique très bien la préface fort bien faite (et qui ne révèle pas trop l'histoire) de Patrick Moran, le Voyageur en noir n'est pas un roman, mais une série de cinq nouvelles agrégées l'une à l'autre. Et elles n'ont pas été écrites rapidement, mais sur près de vingt ans. Jugez-en par vous-mêmes : 1960 paraît « La Marque du chaos » ; 1966, c'est au tour d'« Abattre la porte des enfers » ; « le pari qu'on perd en gagnant » arrive en 1970 (déjà dix ans) ; « Une redoutable empire » en 1971 (quelle rapidité !) ; et « Ces choses qui sont des dieux », en fait l'avant-dernière histoire, en 1979. Cette inversion s'explique par le fait que John Brunner avait d'abord publié les quatre premières nouvelles sous le titre le Passager de la nuit en 1971. En 1982, il offre une nouvelle version, contenant donc « Ces choses qui sont des dieux », qui s'intercale avant « Une redoutable empire », récit conclusif.

Mais assez parlé cuisine, venons-en aux histoires. le Voyageur en noir coche les cases du genre fantasy. Il porte cependant sur lui un regard légèrement distancié et amusé. le personnage principal, ce voyageur tout de noir vêtu et portant un bâton qui se révèle rapidement magique, a comme pouvoir, entre autres, celui d'exaucer les voeux. Vous vous en doutez, le choix des mots est essentiel et la réalisation de ces souhaits peut conduite à la mort de l'inconscient qui les a formulés. Cela rappelle Les Mille et une nuits (et plus récemment La Cité de soie et d'acier) où les transactions avec les êtres magiques doivent être réfléchies avec soin afin d'éviter tout accident. Ces personnages s'ennuient souvent et tromper les humains est une de leurs distractions favorites.

Ici, le voyageur (qui a porté une multitude de noms et donc n'en donne aucun) ne fait pas le mal pour le mal. Il use juste de ses pouvoirs pour tenter de faire triompher les plus vertueux et de punir les plus cupides, les plus mauvais. Comme ces deux peuples se faisant la guerre et appelant chacun à la perte de l'autre : la colère d'un volcan les a réduits, les deux, au silence et a « purifié » la région. Parfois la punition est moins douloureuse et seul l'orgueil est touché : un pêcheur, se vantant d'une de ses anciennes prises, se trouve ridiculisé quand elle apparaît dans toute sa réalité (et sa petitesse) devant des spectateurs hilares. Mais dans tous les cas, le voyageur exauce le voeu, c'est son rôle. Et très souvent, ceux qui les ont faits s'en mordent les doigts (quand ils en ont encore). Cela donne une touche pleine d'humour aux récits.

Mais aussi une tonalité fataliste et assez mélancolique. Quand quatre planètes entrent en conjonction, le voyageur vient voir où en est la terre et les cités dont il suit l'évolution. La magie a-t-elle reflué ? Car on lui a assigné un rôle : « faire émerger l'ordre à partir du chaos. » Et pour cela, il doit faire cesser la domination des pratiques de sorcellerie qui amène le désordre, l'incertitude, le chaos. Discours intéressant pour un auteur social (John Brunner, dans ses romans les plus connus, dénonce les travers de la société et propose d'autres modèles, plus égalitaires, plus respectueux de l'individu) plus porté sur la SF : les inégalités induites par la possession de la fortune due en grande partie à la magie ne sont plus acceptables. Avec la raison viendra le respect de l'autre.

Même si « l'homme sera toujours semblable à lui-même », et ce n'est pas là un constat positif tant les exemples d'humanité qui se dressent devant le voyageur en noir sont frappants de mesquinerie et de cruauté. Ou plutôt non, pas de cruauté, juste d'indifférence devant le sort d'autrui. Les cités décrites par John Brunner sont peuplées d'égoïstes portés sur leurs seuls plaisirs et qui n'hésitent pas à sacrifier des enfants et des adultes pas dizaines si cela peut leur permettre d'obtenir ce qu'il veulent, une jouissance quelconque. Là encore, l'auteur va jusqu'à l'outrance dans ses descriptions de scène de rituels ridicules : « Vivette y ajouta un collier de grosses perles contenant des yeux d'enfants mort-nés » ou de boucheries stupides : « Pellidin, les mains crispées sur trois suppliciés, bouillie de chair et d'os ». Comme s'il se moquait un peu de certains tics de la fantasy de basse qualité, qui se sent obligé d'accumuler les poncifs et les exagérations pour impressionner ses lecteurices.

Quelle belle surprise que ce Voyageur en noir ! J'ai adoré me laisser porter par les pérégrinations de cet envoyé d'on ne sait qui (enfin si, on le découvre dans la dernière nouvelle). Par son regard plein de générosité mais aussi de fatalisme sur les individus qu'il croise et dont il bouleverse les existences. Par le ton légèrement désabusé employé par l'auteur, qui fait le sel de ces aventures. Par l'outrance de certains personnages, obsédés par leurs envies et leurs plaisirs à un point tel qu'ils en deviennent inconscients et sont ainsi conduits, inéluctablement, à leur perte. Vraiment, une lecture bienvenue, d'autant plus belle qu'elle profite de la nouvelle maquette des éditions Mnémos que, pour l'instant, je trouve très réussie. Les teintes un peu pastel, les couvertures assez épurées et les motifs géométriques qui encadrent titre et nom de l'auteur me séduisent. Un changement tout à fait à mon goût.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
Commenter  J’apprécie          384



Ont apprécié cette critique (37)voir plus




{* *}