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Critique de berni_29


Nous sommes dans les années 1950, en Suisse. Nous faisons connaissance d'Ida Bühler, une jeune orpheline de treize ans, lorsque son tuteur, celui de l'institut, vient la chercher pour la confier à un couple de paysans, Arthur et Greta Hauser, chez lesquels elle vivra désormais. Vivre est un bien grand mot, travailler, s'user à la tâche, aux corvées les plus ingrates de la ferme pour mériter le soir un quignon de pain, un bol de soupe et un coin de paille pour dormir... J'ai senti tout de suite que la vie n'allait pas être très rose chez les Hauser, la pauvre Ida se retrouve dès son arrivée à la ferme en butte à la haine viscérale de la fermière et aux regards libidineux de son mari lorsqu'elle tente de faire un brin de toilette dans le baquet au milieu de la pièce principale de la maison. Mais elle sait aussi que si elle ne courbe pas l'échine, on l'enverra à l'orphelinat et ce sera peut-être pire alors...
La ferme se tient à l'orée d'un paisible village rural comme tant d'autres, mais on sent sourdre derrière les silences des histoires qui se taisent peut-être à jamais, des disparitions, des drames anciens sur lesquels on a posé un couvercle... Les rancoeurs, les jalousies veillent cependant, rongeant le coeur des villageois... Alors brusquement, ce village nous semble coupé du reste du monde.
C'est dans cette atmosphère étouffante qu'Ida fait la connaissance d'un garçon de son âge, Noah, qui rêve de partir ailleurs, un ailleurs qui serait très loin de son village. Alors Ida se prête à rêver aussi, à mêler ses rêves à ceux de son nouvel ami...
Les silences, c'est un roman polyphonique, un beau roman pastoral imprégné par les silences, les non-dits, les désirs enfouis dans le tréfonds des âmes, la boue fangeuse des secrets de famille...
C'est un roman dont le récit est construit sous la forme d'un diptyque. Dans la première partie qui m'a tenu en haleine, la narratrice est Ida, elle nous raconte son quotidien, ce présent incertain où la menace est là sans arrêt dans cette maison qui lui est hostile, mais où l'espoir pointe sa lumière dans le regard d'un ami, dessinant les mots d'un ailleurs en partance... Comment ne pas être touché par la douloureuse histoire d'Ida qui voudrait croire en sa part de bonheur, éprise de résilience à travers le regard de son ami ? Dans la seconde partie, ce sont les villageois qui prennent la parole pour nous raconter à leur manière l'histoire qui nous est confiée dans la première partie.
L'écriture de Luca Brunoni est belle, épurée, va à l'essentiel. Elle tient sans doute à la magnifique traduction d'un certain Joseph Incardonna, écrivain important à mes yeux puisque je lui dois de m'avoir fait découvrir l'univers de Charles-Ferdinand Ramuz. Mais pour moi le livre revêt également un autre intérêt dans sa manière de saisir ces scènes quotidiennes où l'enfance bafouée, exploitée, tente de résister à ce déterminisme social implacable et cruel. J'imagine que l'exploitation d'orphelins, - l'aubaine d'une main d'oeuvre bon marché, était monnaie courante dans l'agriculture de ces années-là. Luca Brunoni fait ainsi de ce roman un récit sociologique rural ayant une portée universelle.
Si j'ai adoré la première partie, je suis resté un peu sur ma faim en abordant la seconde partie, dans laquelle la tension se perd parmi ces voix multiples. Pour autant, il me reste de la lecture de ce roman noir et lumineux, empli de soleil et de boue, l'écho d'une histoire qui m'a touché au coeur.

[Sélection Prix CEZAM 2024]
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