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Critique de Floyd2408


Une masse critique dans l'immersion de la France d'en bas, ce qui pourrait être le titre d'un média mainstream à la mode de chez nous, ceux qui pullulent nos médias comme un virus gangrénant le monde dans un confinement politico-financier. Fabienne Brutus accouche d'un roman-récit aux forceps d'une écriture convive, au style nerveux, presque télégraphique, loin du prolixe Proustien, avec une palette d'aphorismes croustillants et de portraits chinois extensibles, que l'auteur étale telles des marchandises, se trouvant sur un catalogue, fantôme errant sur le quatrième de couverture résumant l'horreur de ces formations, ces mirages sociétaux où des hommes et femmes, adolescents et adolescentes s'invitent dans la mascarade gouvernementale depuis des lustres à remplir le manque de moyens et d'envies pour obtenir des diplômes cache misère et devenir des oubliés, des chiffres balancés dans des tableaux Excel, faisant l'écho de ce refrain psittaciforme sur la réinsertion de ces oubliés numériques du taux de chômages….



Je n'oublie pas le témoignage de Florence Aubenas dans son récit, le Quai de Ouistreham, cette quête d'avoir un CDI, dans Cassos : L'amertume des marchandises, c'est d'avoir un diplôme issu d'une formation lambda, énième démarche issu d'une bureaucratie vampirisante, presque libérale, effaçant d'un trait ces âmes humaines d'une catégorie qu'on essore à coups de subterfuge, qu'on assèche pour avoir un nombre de chômeurs au plus bas, les chiffres sont rois au détriment de l'humain !



Fabienne Brutus connait bien la chanson de ce processus, le dénonçant dans son premier roman, Chômage, des secrets bien gardés, elle revient avec un récit plus intime, une plongée dans une couche sociale qu'on musèle dans un stéréotype bien rodé par des gouvernements drogués au dogmatisme des cabinets-conseils privés, avec cet humour acide, Fabienne Brutus ne peut définir ce livre, n'étant pas de la sociologie, ni de la littérature, ni un témoignage, ni un essai sur le monde du travail, ni du journaliste, c'est un hybride alors, un catalogue de marchandises humaines, voilà, c'est dit, nous voilà dans le coeur du livre, Fabienne Brutus rencontre au fil des années, des êtres cabossés, des individus issus de l'immigration, des personnes en échec scolaire, et les autres rejetés par la société de consommation où la famille vole en éclat, pour devenir selon certain des « cassos », l'ironie c'est ce mot que l'auteure explique, par la définition même du dictionnaire et qu'elle entendra fuser entre les différents participants de la formation. Nous sommes surement le Cassos de quelqu'un comme peut l'être l'insulte « con ».

Ce sont des paragraphes qui s'accumulent les uns aux autres, chacun raconte une petite scène de vie de la formation, des anecdotes, des instants, c'est une cartographie sociale des élèves, avec comme filigrane le désabusement de l'auteur avec ces formations trompe-l'oeil, tout en gardant une forme d'humour, pour ne pas sombrer dans l'émotion, comme avec cette fille subissant l'inceste de son paternel, ce garçon globe-trotteur de la France pour suivre son père incarcéré pour 25 ans, changeant de prison régulièrement, un autre vampirisé par sa mère, puis les pauvres de génération en génération, les illettrés, les immigrés ne parlant pas français, les naïfs et naïves, les caïds, les religieux actifs, les ignorants, des gitans et les autres paumés abandonnés par notre société.

Je souris, avec ce soupçon d'amertume, en repensant au paragraphe Urgence historique, sur cet oral d'histoire-géographique, en apprenant que les Allemands avaient gagné la guerre grâce à la collaboration de Renault, les inondations dans le Gard ont été causées par une grosse vague sous la mer, mai 68 a permis l'interdiction au travail des moins de huit ans, comme aussi une adolescente est surprise que « Joséphine ange gardien » n'existe pas, Fabienne Brutus constate que le niveau des jeunes a baissé, trop nourrit d'images sans médiateur pour expliquer le monde réel.

C'est un livre qui explore la France profonde, celle ignorée des médias, ces hommes, ces femmes et leurs enfants piégés dans le rouage administratif d'une formation du désespoir de réinsertion, pensée par des quidams planqués dans des bureaux à l'abri de la réalité, coincés devant des écrans à faire parler des chiffres au détriment de comprendre la vie qui les entoure, Fabienne Brutus jette un regard pragmatique et juste sur cette France qu'on oublie, dont je fais partie, l'humain est devenu seulement une marchandise que l'on déplace d'une catégorie à une autre, Fabienne Brutus les humanise, ce qui est un vrai oxymore !
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