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Critique de lousalinger


Deuxième tome de la trilogie urbaine imaginée par William Riley Burnett, Rien dans les manches à sa manière bien à lui de prendre la suite. Pas tant en raccrochant les wagons avec Quand la ville dort (une ou deux allusions maximum) qu'en réinstaurant une mécanique semblable à ce prédécesseur. Si on parle de structure et de personnages (Reisman = Farbstein, Arky = Dix, Stark = Hardy), les deux romans sont très similaires. Nous sommes témoins d'une marche vers l'inéluctable, d'une époque qui se meurt et d'une confusion entre les bons et les méchants. le précédent traçait une ligne de démarcation perceptible entre les deux camps, elle est maintenant indistincte, embrouillée, signe d'une corruption insidieuse et implantée...Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir ? Ça nous arrangerait bien. Mais la réalité décrite par Burnett est justement plus complexe. Après le simple coup organisé par les petites mains, nous voici catapulté dans de plus hautes sphères, d'un côté comme de l'autre. La corruption part peut-être d'en bas, mais c'est bien de là-haut qu'on l'entretient. Une leçon apprise par le Juge Creet (autre personnage ambivalent), ce qui donne au livre l'un de ses monologues les plus saisissants sur le caractère destructeur du succès.

La logique voudrait qu'on soutienne Thomas Stark, directeur des services de police fermement résolu à enrayer l'organisation criminelle. On le fait, de bonne grâce. En souhaitant très fort que Arky, collecteur pour "le Patron", passe entre les mailles du filet. Lecteur retourné. Mais est-ce vraiment une surprise ?
En pénétrant dans l'esprit des "bad guys" de Quand la ville dort, on entrait finalement en empathie avec. Rien dans les manches va un cran plus loin, jusqu'à la faire partager par son personnage de chevalier blanc (Stark), trop lucide pour ne pas établir une hiérarchie dans les menaces. Ni cynique ni résigné, l'état des lieux jeté sur ce bas monde est pragmatique. Il est question d'une nation cosmopolite où des pans entiers de citoyens sont marginalisés en raison de leurs origines (ex : Arky le "paysan" ou "les "Polaks"), tout comme les intègres sont évincés des postes cruciaux. Immigration, industrialisation et la corruption sont autant symptômes de décomposition d'un système social que de la régénérescence d'un nouveau, plus moderne mais obéissant aux mêmes vices de fabrication. Difficile d'espérer une résolution tranchée dans ces conditions puisque le mieux est bien souvent l'ennemi du bien.

Avec un tel parti pris, comment les ouvrages de Burnett ont-ils pu se retrouver affiliés au hard-boiled ? D'accord, on trouve beaucoup de dialogues et le rythme est soutenu. Par contre, il n'y pas beaucoup d'action à proprement parler. L'essentiel se concentre sur les personnages et leurs tourments intérieurs*, ce qui amène les récits vers une dimension plus sociologique. D'autant plus que dans la forme, l'auteur joue avec les échos, répétitions pour donner des accents tragédiens à ses romans noirs. L'écriture effeuille les icônes, n'en reste plus que des individus en proie à leurs émotions. de quoi déstabiliser les perceptions, d'autant que celles de nos "héros" sont sujettes à la contradiction. On pourrait parler du juge Greet, du préfet Stark, ou d'Arky. L'exemple le plus significatif sera pourtant le portrait du fils Byron tiré par Reisman, très éloigné de l'homme que nous rencontrerons quelques pages plus loin. C'est sur terrain que Burnett se rapproche effectivement de certains collègues, à son corps défendant (il désapprouvait les comparaisons avec Dashiell Hammett, par exemple). En poussant son lecteur à s'immerger sans se laisser submerger. Cette plongée n'est pas aussi populaire mais d'une qualité égale à Quand la ville dort.

*Il est à noter que la première version folio poche reprend la traduction "épurée" de l'édition Série Noire. À l'instar des premières éditions de Quand la ville dort, environ 15% de l'oeuvre est passée aux oubliettes. Pourquoi donc ? En premier lieu, pour maintenir une ligne éditoriale stricte (254 pages maximum). Et - plus ironique - coller à l'esprit de sécheresse propre au hard-boiled américain. Une rigidité qui trouve sa limite, au delà d'un argot parfois anachronique. Outre de menues descriptions conférant une âme à cette ville jamais nommée, la plupart de ces passages inédits s'employaient à approfondir les personnages : la maladie qui assaille Reisman, les observations de Stark, la sensibilité d'Arky par rapport au bébé ou aux agriculteurs, la lucidité dans les rapports de force,...Cette dizaine de pages offraient plus de coeur et de subtilité à Little men Big World (traduit par Rien dans les manches...allez comprendre) mais tranchaient un peu trop avec les "conventions" du behaviorisme, alors que son auteur assumait une démarche un pied dedans un pied dehors. Ce qui explique leur effacement et affaiblit le roman d'une couche de nuances nécessaires pour créer de la tension/de l'affect. Si vous souhaitez vous jeter sur l'univers de Burnett, je vous conseille d'investir dans la nouvelle édition Folio Policier directement reprise du recueil Underworld, avec des traductions révisées et non-caviardées.
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