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Critique de Readeronthestorm


Comment produire une critique impartiale d'une oeuvre si ambitieuse ? La Modification tente une révolution complète de l'art du roman en plaquant sur une intrigue apparemment très simple un tel luxe de raffinements narratifs que le lecteur, au départ cueilli par l'usage de la deuxième personne (qui a fait la célébrité du roman ) et le réalisme apparent de la situation proposée, finit par éprouver une forme de vertige kafkaïen, alors que ce roman ne parle de rien, d'absolument rien si ce n'est, dans une certaine mesure, de nos lâchetés et de nos insuffisances émotionnelles...
Le narrateur, un cadre quadragénaire dirigeant la filiale française d'une firme italienne de machines à écrire, se rend de Paris à Rome en train, non pour la réunion mensuelle à laquelle il a l'habitude d'assister, mais pour y rencontrer sa maîtresse et lui proposer de venir partager sa vie à Paris. le roman se déroule tout entier dans le compartiment, par extraordinaire de troisième classe, où s'installe le fugueur, où vont et viennent d'autres passagers qui ne parleront jamais - et seront donc réduits à l'état de spectres, ou peut-être d'un public muet des réflexions du narrateur, dans l'esprit duquel ce voyage se superpose à d'autres, de Paris à Rome, de Rome à Paris, effectués seul, en compagnie de sa femme et de sa maîtresse.
Le plus impressionnant je crois est le rythme de ce roman qu'il faudrait lire je pense, idéalement, dans un train Paris-Rome car je suis intimement persuadé que les 21 heures de trajet décrites, une fois ôtées les pauses correspondant aux repas et à un sommeil inconfortable et agité, correspondent au temps de lecture nécessaire de ce roman à l'écriture incroyablement dense, qui requiert du lecteur une attention de tous les instants. L'écriture agitée, accélérée ou freinée, allant et revenant, semble parfaitement imiter le mouvement à la fois régulier et chaotique du train, et accompagner le délire progressant du passager qui, enchaîné à sa place, isolé de tout être connu, ne peut que se réfugier dans une contemplation qui risque de le rendre fou.
Seulement voilà, sommes-nous, lecteurs, capables de suivre le narrateur imaginé par Butor dans ce voyage dans lequel il nous emmène ? Peut-être pas, car si nous sommes restés aussi lâches et inconséquents que lui, nous ne disposons peut-être plus de la même faculté d'introspection. Et ce narrateur, commercial excessivement cultivé, friand des rues d'une Rome étrangère, où il court après les vieilles pierres et où nous ne trouverions peut-être plus que les mêmes Starbucks et Fnac qu'à Paris, nous semble l'ambassadeur d'un monde oublié - pour peu qu'il ait jamais existé. Quelle impression curieuse de ne pas se sentir tout à fait à la hauteur d'un livre, alors qu'il semble que le livre ait été écrit, très spécifiquement, pour nous embarquer, nous assimiler au narrateur ! Il va de soi que je le relirai, oh, pas tout de suite, tous les dix ans peut-être.
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