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sur 571 notes
Voici l'un des fleurons du mouvement littéraire plutôt francophone d'après guerre qu'on nomme (un peu pompeusement) le Nouveau Roman. Indépendamment de toute notion d'appartenance à telle ou telle école romanesque, à son contexte de publication, toutes choses propres à nous emmener trop loin sur des chemins de traverse, je vais m'efforcer d'émettre un avis actuel et ciblé pour le lecteur d'aujourd'hui désireux de découvrir cette oeuvre.

La Modification est un petit roman que je qualifierais de lent, peu captivant mais extrêmement bien construit. Lent et peu captivant car il est presque une allégorie de la lenteur du temps qui passe et du travail de sape que ce temps peut créer.

Un voyage en train, tel qu'on peut se l'imaginer dans l'Europe des années 1950, déroulant sa lenteur et sa pénibilité. Un homme entre deux âges, vous en l'occurrence (c'est ici que siège LA grande trouvaille formelle de Michel Butor qui ne passe pas inaperçue), dans une situation bancale entre une épouse et une maîtresse, entre Paris et Rome, entre la raison grise et le grain de folie coloré, vous en qui va s'opérer une modification au cours de ce long et fastidieux voyage en train (je vous laisse découvrir laquelle).

C'est là toute la prouesse de Michel Butor, faire le portrait de l'oeuvre du temps, nécessairement lent et par touches. L'action, inexistante puisque vous êtes assis dans un train à compartiment ancienne école, est remplacée avec maestria par un étonnant voyage dans le temps : présent, futur, passé(s). Les amateurs de Mario Vargas Llosa apprécieront l'illustre instigateur du roman à plusieurs temps.

En résumé, j'admire donc la technique formelle de ce roman, réglée comme un aiguillage SNCF mais je ne peux toutefois pas dire que j'ai particulièrement palpité en lisant cette modification, mais, bien sûr, ce n'est là que mon avis auquel on pourrait apporter de nombreuses modifications, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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ATTENTION, DANGER ! Si vous comptez faire un long voyage en train, méfiez-vous !
En effet, si vous avez un amant/une maitresse (cochez la réponse adéquate), vous risquez de ne plus le/la voir de la même façon...Et votre propre identité va en prendre un coup !
Car les voyages en train sont traitres, ils vous poussent à un « remuement intérieur, à un dangereux brassage et remâchage de souvenirs », quitte à être au supplice, cloué au « pilori de vous-même ».

Léon Delmont rêve, comme tout le monde d'ailleurs, d'avoir une vie extraordinaire, sans le joug de l'habitude, du quotidien qui détruit tout. Marié à une bourgeoise confite en dévotion qui l'a transformé en vieillard et qui lui a fait quatre enfants dont il s'est vite distancié, il rejoint Rome périodiquement pour son travail, et là, il a trouvé LA femme qui lui rend la jeunesse, la vie.
De Paris à Rome, d'une ville à l'autre, d'un monde à l'autre.
Cette fois, il se rend à Rome sans le dire à son aimée car il compte lui offrir un cadeau-surprise : il lui a trouvé un travail à Paris ! Ce qu'ils voulaient depuis longtemps, vivre ensemble, va enfin pouvoir se produire !

Mais, mais, mais....C'est sans compter avec le voyage intérieur auquel le conduisent le balancement du train, les rêveries sur les différents voyageurs partageant son compartiment, les allées et venues, les paysages entrevus par la fenêtre, la difficulté de dormir sur cette banquette de 3e classe, les souvenirs des autres trajets vers Rome, les cauchemars, et même la légende du Grand Veneur hantant la forêt de Fontainebleau, qui lui serine « Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Que cherchez-vous ? Qui aimez-vous ? Que voulez-vous ? Qu'attendez-vous ? Que sentez-vous ?»
Et surtout, surtout, le souvenir du seul voyage à Paris de sa maitresse prendra une importance grandissante, transformant la lézarde de son être en fissure béante.

Ce roman, je l'ai adoré il y a 30 ans, et je l'adore encore ! Je l'ai relu avec réticence parce que j'avais peur de ne plus retrouver son magnétisme, mais heureusement, celui-ci m'a reconquise, je l'ai savouré, encore une fois.
Magnétisme de Rome, notamment, qui est décrite avec moult détails. Rome, la païenne et la catholique, aux rues ombragées et aux placettes accueillantes, aux édifices et aux musées flamboyants, à la gare étincelante.
Magnétisme des autres voyageurs dont la présence s'impose tout au long de ces 21 heures de trajet.
Magnétisme de cette écriture aux phrases longues et ondulantes, serpentant dans le psychisme tourmenté d'un homme ordinaire.
Magnétisme d'un voyage au bout de soi-même...

« Qui êtes-vous ? Où allez-vous ? Que cherchez-vous ? Qui aimez-vous ? Que voulez-vous ? Qu'attendez-vous ? Que sentez-vous ? »
Montez dans le train pour Rome, peut-être pourrez-vous répondre à ces questions. Peut-être votre vie en sera-t-elle modifiée...

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J'ai d'abord haï ce bouquin (en classe de terminale), et puis en master, un professeur exceptionnel nous a initiés à sa véritable interprétation, et j'ai appris à apprécier, et même à admirer Butor en comprenant ce qui avait coincé. Cette interprétation n'est pas du tout ésotérique, mais ne tombe plus sous le sens à cause de l'abaissement généralisé de l'intelligence (20 points de QI perdus en une génération, ah oui, quand même! Passer de Brel à N. Conrad, de Dumayet à Hanouna et de de Gaulle à un type qui croit que la Guyane est une île et que Villeurbanne est dans la banlieue de Lille, c'est plus qu'un "changement de paradigme"!)

Bref, quel est le problème fondamental? Le "VOUS", bien sûr! La sottise ordinaire est invariablement de soutenir que Butor, à l'instar des auteurs des "livres-dont-on-est-le-héros" pour adolescents, voulait faciliter l'implication du lecteur. Or c'est exactement le contraire. Toute l'entreprise de Butor, que je n'avais pas comprise à la première lecture, gravite autour d'une volonté d'éveiller la conscience du lecteur en rendant justement impossible l'identification qui coule de source dans le roman classique. Car ce "vous", vous savez INTENSEMENT que ce n'est justement pas vous. Et le vouvoiement vous le rappelle tout le temps. C'est un "vous" d'auto-distanciation.

Butor s'inspire de Sartre et cherche à ouvrir une "faille de néant" entre vous et l'apostrophe "Vous", un "entre-deux". Et tout le roman ne fait que ça: ouvrir des entre-deux. "Vous" qui n'est pas "vous" êtes un homme "entre deux âges", "entre deux femmes", "entre deux villes", etc. L'intérêt? Créer ce qu'Emmanuel Legeard (ce professeur dont je parlais plus haut) a génialement appelé "un thermostat imaginaire". Rien d'étonnant, donc, à ce que Butor ait écrit en 1971 un scénario pour un projet de téléfilm, «espèce de variation humoristique de la Modification», qui s'intitulait... L'Entre-deux! Bien sûr, c'était un peu pour se venger de ce que le réalisateur Michel Worms ait pris l'initiative de porter au cinéma une Modification réduite au plus petit dénominateur commun, linéaire et aplatie qui ne tenait aucun compte de l'enjeu d'origine, et n'avait par conséquent... aucun intérêt.
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Week-end à Rome, ville ouverte à tous les possibles.

Je descends à l'instant de ce train, tout modifié ; le voyage riche d'une vingtaine d'heures et d'innombrables arrêts fut harassant ; mais pourquoi n'ai-je pas pris Alitalia ? J'aurais lu le livre en un couple d'heures.

Vous est un autre m'assène l'auteur, vous c'est moi, ainsi que nous tous qui achetons un billet en cette classe tous risques nous exposant ce faisant à un bilan d'incompétence de nos existences, de nos lâchetés, de nos arrangements et au "mépris" de l'autre, terme récurrent dans l'histoire, générant de mythologiques cauchemars.

Bref, ce fut un aller pas simple mais une échappatoire est proposée pour palier l'absence, accompagner le retour, les jours qui suivront et leur réel : ouvrir ou entreprendre l'écriture de ce livre intrigant qui ne quitta pas le voyageur mais dont il fit seulement usage de marque place.

Allez-y, ceux qui prendront ce train l'aimeront.
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[Un billet deterre, qui date de 2016. Par paresse je n'y ai rien change.]

J'ai appris sa mort par la television et je me suis dit que son oeuvre valait surement une lecturequiem. J'ai opte pour le livre le plus facile a trouver, qu'on dit etre son –ou un de ses- chef-d'oeuvre.
De prime abord il m'a decontenance avec son vouvoiement, que j'ai pris pour un gimmick, le genre de petite astuce qui ne laisse presager rien de serieux. L'accumulation de details a commence a me fatiguer et je me suis demande si je n'allais pas abandonner cette lecture. Puis je me suis fait prendre aux vas-et-viens de l'histoire, aux balancements saccades du roman, et j'etais dans le train, tout le voyage de Paris a Rome, en troisieme classe. Avec en tete beaucoup d'autres allers et retours, de Paris a Rome, de Rome a Paris. Avec ce petit bourgeois a la quarantaine triste qui est mis en scene par Michel Butor dans La Modification.


Mise en scene est un mot cle de mon impression de lecture. Tout se passe dans un train, et c'est comme si dix cameras differentes etaient braquees a l'interieur, nous donnant tous les details des couloirs, des compartiments, des sieges, des fenetres, et bien sur des voyageurs, leurs habits, leurs attitudes, leurs mouvements. Tous ces personnages secondaires parlent, mais le lecteur ne les entend pas. Leurs portraits (j'allais dire leur image), leurs gestes, sont tres nets, mais leurs raisons de se remuer et d'agir, leurs possibles destinations et destinees ne nous parviennent qu'a travers le philtre du personnage principal, qui s'imagine et invente leur passé, leur futur immediat, leurs possibles vies. Eux aussi ne sont que le décor ou se deroule le drame interieur de ce personnage: un quarantenaire parisien, directeur de la succursale francaise d'une firme italienne, faisant donc des sauts periodiques a Rome, ou il a une amante. Il a decide de rompre avec sa terne vie, c.a.d. avec sa femme qui le meprise (c'est du moins ce qu'il ressent ou s'imagine), ses enfants qu'il ne comprend pas et qui ne le comprennent pas mieux. D'abandonner les facilites falotes de sa grise routine, de ramener son amante a Paris pour vivre avec elle une nouvelle jeunesse. Il prend donc – cette fois ci en maquillant son voyage, en se cachant de ses employeurs – le train de Rome pour la surprendre et lui annoncer sa decision.
Mais voila, le trajet est long.


Pendant ce long trajet vont lui passer par la tete des details, decousus, de ses rencontres avec son amante, de ses deambulations a Rome, de son travail a Paris, de ses habitudes familiales, de ses rapports avec sa femme, melant passé present et futur. Et c'est en ressassant ses souvenirs et sa decision qu'il arrive, en fin de voyage, a la modifier. Je ne devoile rien qui ne soit dans le titre, et si je devoile cela n'a aucune importance. L'interet du livre de Butor, sa grandeur, n'est pas dans le suspense mais dans la reproduction, a l'infinitesimale, du processus mental qui amene la modification.


Je sais bien que ce livre est apparente au "Nouveau Roman". Par contre je ne sais pas tres bien ce qu'a ete, ou ce qu'a voulu faire ce "nouveau roman" si ce n'est abandonner, detruire ou deconstruire tout ce qui a trait a l'intrigue ou au personnage. Mais ici il y a bien une intrigue, il y a bien une action –pas seulement mentale – qui se deroule en un espace-temps determine, il y a bien un personnage, auquel on peut s'attacher bien qu'il soit falot; avec lequel on peut meme arriver a s'identifier (nous ne sommes pas tous des hommes et des femmes forts et surs de nous, et nous avons tous passé, ou nous passerons tous, une sorte de crise de la quarantaine), meme si on ne se sent pas directement concernes par le "vous" qu'emploie Butor en decrivant son personnage.
Si le "nouveau roman" a voulu se differencier des classiques, si La Modification s'est voulue oeuvre de cette ecole, le temps, espiegle et inattendu comme toujours, leur a fait un beau pied de nez. Ce livre est aujourd'hui un classique. Un classique par son ecriture, un classique par son personnage. Et comme tous les classiques, a lire et a relire.
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Déjà, vous entrez dans ce livre, La modification, avec l'imaginaire qu'il déploie. C'est comme dans un voyage inattendu, c'est comme si on vous disait non pas ce qui vous attend mais le chemin que vous allez prendre. Cela peut être déstabilisant au début et en même temps cela peut s'avérer excitant. En général, j'opte pour la seconde possibilité...
Dès la première phrase, vous entrez dans le livre, ce texte que vous écrivez en quelque sorte en le lisant. C'est cela le propos du roman et l'originalité de la narration. Nous sommes dans ce qui s'est appelé il y a près de soixante-dix ans déjà, le Nouveau Roman... Drôle de genre, souhaitant casser définitivement les codes classiques du roman romanesque.
Le narrateur qui est l'auteur vous voit et vous vouvoie, il vous décrit tel un voyeur et vous devenez acteur de son récit. L'auteur vous parle, il vous décrit tel que vous avancez et agissez dans l'histoire qui devient la vôtre...
Vous entrez en scène, vous n'avez pas le choix, vous êtes happé dans le chemin de ses phrases. C'est un détachement, un pas de côté, qui a plusieurs effets intéressants et ce fut je trouve une idée fort originale, dérangeante un peu aussi...
C'est vrai, il y a une certaine légende autour du Nouveau Roman, dont ce texte écrit par Michel Butor. Je m'en rappelle. Cela faisait longtemps que j'avais entendu parlé de ce livre. Je me souviens qu'au lycée, un professeur de français un peu décalé et passionné par le Nouveau Roman nous en lisait des extraits à foison...
Mais qu'en est-il du roman à proprement dit, du récit, de son sujet, mais surtout, ce qui compte ? Ce qui fait sens ? Ce que j'en ai ressenti ?
Je craignais l'exercice de style, mais j'ai été surpris par le récit, cette fameuse manière narrative, le style, les mots... Contre toute attente, hormis cette originalité de s'adresser au lecteur, le propos narratif est plutôt classique et captivant.
Au fond, c'est une histoire d'amour. Et c'est aussi une histoire d'adultère. Une très belle histoire tout simplement. Une histoire qui naît et se passe dans le train, entre Paris et Rome, mais aussi à Paris et à Rome.
Les trains sont peut-être les derniers vestiges du romantisme, les dernières citadelles de déambulation. Les trains sont des trajectoires qui tracent des rectilignes dans les zigzags de nos vies ; étonnant alors que des histoires parallèles s'inscrivent dans cette géométrie improbable...
Il y a cette rencontre dans le train, cette femme Cécile.
Rome ici m'a invité dans ses dédales et ses rues.
Il y a quelque chose de surprenant dans ce roman dicté par une sorte de formalisme qui se veut par ailleurs rebelle aux codes traditionnels de la narration. Pour autant, le roman pose d'autres codes qui nous surprennent et nous questionnent, nous lecteurs, sur une autre manière très intéressante pour capter un texte, ses mots, ses rivages, ses tangages, ses bastingages.
Le balancement du train est propice au balancement du coeur et des pensées.
Le voyage en train est un voyage en soi. C'est un lieu de transformation. Je voyage souvent en train pour le travail, me déplaçant régulièrement entre Brest et Rennes et parfois jusqu'à Paris. Depuis que j'ai lu La modification, je ne voyage plus de la même manière en train. Il y a eu un temps avant ce livre et un autre temps après ce livre et je ne saurais décrire les détails de cette modification en moi, dans mon regard, dans mes gestes, dans ma façon de monter dans un train, de regarder les passagers leurs visages enfouis derrière un livre ou un écran - davantage des écrans hélas désormais, d'imaginer leurs vies, leurs histoires, je sais que cette modification a eu lieu.
Pour cette raison, ce livre a quelque chose d'un peu envoûtant.
Entre Paris et Rome, ce sont deux versants qui s'opposent et se parlent aussi dans ce train...
Entre Paris et Rome, c'est aussi un voyage intérieur, et comme tous les voyages intérieurs ils mènent bien plus loin que la destination prévue.
Il n'est pas sûr d'ailleurs que ce vouvoiement avec le lecteur crée de l'empathie avec celui-ci. Cela crée un autre univers. Parfois, je me suis demandé si au contraire ce n'est pas une distanciation plus forte encore que l'écrivain a cherché à imposer entre le narrateur et le lecteur...
La puissance d'évocation du livre est grande. Rome devient un rêve presque palpable... Et notre coeur au fond de notre ventre aussi...
Plus tard, ce roman continue de devenir un voyage, peut-être un aller-simple vers nulle part...
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"Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant."p.9, ainsi commence ce voyage.


Le train.
Seul le train.
Pas l'avion réducteur de paysage, encore moins la voiture dans le trafic trop dense, ni même le bateau surtout en pleine mer, oui seul le train, et particulièrement sur un trajet déjà emprunté à diverses reprises mais pas la navette journalière dont le charme s'est estompé depuis longtemps un trajet s'apparentant plutôt à un pèlerinage personnel plusieurs fois entrepris, offre cet état de conscience modifié propre à doubler le voyage d'un cheminement intérieur, plus encore dans les voitures à l'ancienne avec compartiments où six à huit passagers se trouvent embarqués en cette pièce confinée comme une scène de théâtre.
Ou la lecture.


Ce vous majestatif s'est imposé dès le début de votre lecture, sans tambour ni trompette, et d'un coup, d'un seul, il -ce vous- vous embarque dans des pensées qui ne sont pas nécessairement les vôtres, il -ce vous- pose question, car enfin moi, vous peut-être aussi savez bien qu'il n'est pas vous, ce personnage s'installant dans ce direct Paris-Rome avec sa petite valise et sa grande résolution. Néanmoins déjà vous vous laissez bercer par les longues phrases de Michel Butor à cette rythmique typique des roues sur les rails et à ce balancement régulier du wagon, rien dans ce phrasé, qui n'est pas sans vous évoquer celui si poétique de Mirko Kovac pour La ville dans le miroir, cette fois-là c'était Dubrovnic qui était ensorcelante aujourd'hui c'est Rome qui vous attire, ne vous interpelle comme ce vous dont la question ne peut-être que "Qui êtes-vous ?".


Passe Braine-le-Comte. Dans le train pour Bruxelles que vous avez pris tôt le matin à Mons après avoir acheté la veille un billet-expo pour agrémenter cet examen dont vous redoutez le verdict capable de modifier singulièrement le cours de votre vie, vous lisez ce livre pour mieux entrer dans ce train en direction de Rome et déjà vous avez dépassé Dijon, cependant votre récit s'est écarté de celui de Michel Butor car votre "Cécile" est bien plus volage. Ah ces Liaisons dangereuses qui viennent affecter le cours de vos lectures comme les pensées disruptives viennent assaillir tout passager d'un parcours au long cours. Ainsi regrettez-vous cette inscription de jadis "Il est dangereux de se pencher dehors.- E pericoloso sporgesi." petite phrase italienne qui fait ressurgir une autre lecture où Erri de Lucas s'empressait d'y ajouter "Il est néanmoins nécessaire de le faire." nécessaire que votre liberté de lecteur avait immédiatement traduit en vital, plus besoin hélas de ces écriteaux dans les wagons modernes cette dangereuse liberté permettant de respirer n'étant plus qu'un lointain souvenir. Vous approchez de Bruxelles-midi, l'humeur aussi chagrine que le temps, la vue un peu brouillée par la pluie martelant les vitres comme un mauvais présage alors que vous vous étiez déjà fait une joie de cette escapade planifiée sous le soleil.


A Soignies il fait déjà noir, le livre posé sur vos genoux vous repensez à cette exposition au musée des beaux-arts ou le réalisme de Magritte s'affiche fièrement face à la fantasmagorie de Dali. Magritte dont le surréalisme est fait de la juxtaposition de pièces réalistes dans des puzzles qui ne s'assemblent pas et dont le non-assemblage vient à questionner la représentation que vous vous faisiez de la réalité. Alors que chez Butor c'est au contraire la construction complexe d'un puzzle dont toutes les pièces réalistes viennent finalement parfaitement s'assembler pour vous questionner sur cette même réalité. Mons gare terminus n'est plus très loin et durant ce retour quelque chose à changé votre "Cécile", que vous aviez imaginée plus libre, prête à d'autres aventures que l'attente passive d'un directeur commercial sur la France de machines à écrire italiennes, vous êtes prêt à l'oublier et revenir sur les rails du roman.


Vous voilà de retour à Mons qui a en commun avec Bruxelles une magnifique grand-place dont certaines façades présentent quelques similitudes, comme le Panthéon de Paris renvoie à celui de Rome, la ville éternelle aux milles visages et dont le Vatican est aux antipodes de l'antique république à l'instar du réalisme de Butor vis-à-vis de celui de Magritte et pourtant tous deux fissurent cette façade de certitudes qu'il y a peu encore vous habitait, la voilà qui se lézarde prête à tomber en ruine la page d'une jeunesse définitivement tournée, il faudra bien reconstruire car il n'y aura pas de miracle à Rome. Vous avez ressenti que la puissance d'évocation du livre était suffisante pour le finir tranquillement dans le confortable fauteuil de votre salon.


Et c'est de chez vous que vous postez cette chronique à l'image de ce livre qui raconte l'emprisonnement progressif d'un homme très ordinaire dans sa vie de famille se découvrant incapable de tenter la chance ultime de son rêve d'aventure, Rome illuminée par Cécile par trop fantasmée aura été certes approchée mais restera inaccessible à jamais, ce livre puissant est aussi l'histoire de sa propre naissance dans une chambre à Rome pour combler la faille qu'il vient d'ouvrir, complexe mais remarquable.


Rome, oui c'est une idée.
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Ce livre est hallucinant. Il est tellement complexe au niveau de la composition, que je peux comparer la création d'un tel ouvrage avec la construction d'une immense cathédrale gothique. Quelle conception! Sa réalisation est minutieuse et juste parfaite. Il s'agit là d'une véritable littérature, son essence même et non sa substitution, comme dans la plupart des romans commerciaux modernes.

On suit le trajet du personnage principal de Paris à Rome, on observe non seulement des objets réels qui nous accompagnent dans ce voyage, mais en même temps on se plonge dans les souvenirs du protagoniste, qui deviennent aussi tangibles pour nous que le compartiment du train.

On peut dire qu'à la première approche le sujet est banal: l'adultère, les doutes d'un commerçant quadragénaire qui ne se sent pas vraiment prêt de quitter sa famille, mais qui ne peut plus respirer dans l'atmosphère familiale. Puis après un certain moment le déroulement de l'intrigue devient moins prévisible et le personnage en sort tout neuf. C'est vrai que pour lui va commencer une toute autre vie, certes, mais qui ne sera pas celle à laquelle le lecteur s'attend.

J'ai pas vraiment aimé le caractère du personnage principal et j'ai pas cru, qu'un être si médiocre puisse effectuer un travail si particulière et complexe, que l'auteur du livre lui impose comme une seule issue à sa situation. Mais le style, la manière d'écriture si abondante et scrupuleuse m'a tout à fait convaincue, que je ne lisais pas un livre, mais que je faisais un véritable voyage spirituel à travers ses pages. J'ai découvert un écrivain qui est tout de suite devenu une âme proche. Bel événement dans la vie de tout lecteur, de tout être humain.


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La modification est le premier livre que je lis de Michel Butor , auteur phare du Nouveau roman, et c'est une vraie découverte.
Tout d'abord, ce livre est écrit à la deuxième personne du pluriel. Cela désarçonne légèrement au début du roman, introduit une certaine distance, interroge sur qui parle, mais très vite l'effet s'estompe et ne gêne en rien la lecture.
Indépendamment de cet effet de style, il m'a fallu un certain temps pour bien entrer dans le livre.
Au départ, la situation paraît simple et les descriptions des détails du voyage en train qu'entreprend Léon Delmont pour rejoindre sa maîtresse Cécile à Rome bien stériles, mais progressivement nous sommes happés par le tangage du train, ses mouvements de balancier, et l'histoire s'avère beaucoup plus complexe que prévu, car il ne s'agit pas d'un simple aller Paris-Rome, des trajets se superposant, dans un sens et dans l'autre, les trains se croisant quelque fois. Léon, dont le travail dans le commerce de machines à écrire italiennes le conduit régulièrement au siège de l'entreprise à Rome, voyage souvent seul dans les trains de nuit qui relient les deux capitales, mais il est parfois accompagné de Cécile, ou d'Henriette sa femme, car nous apprenons qu'il y a fait son voyage de noces.
Léon prend quelques jours de congés, incognito, afin d'annoncer à Cécile qu'il a décidé, bien qu'on puisse s'interroger sur le terme de décision, de quitter Henriette, de vivre avec elle, et de la faire venir à Paris, où il lui a trouvé un travail et une possibilité de logement. Notons au passage, la dépendance des femmes à l'égard du personnage principal.
Voilà pour l'intrigue, bien mince au demeurant.
Et pourtant, pendant le temps du périple entre Paris et Rome, une tempête se lève sous le crâne de Léon, et ce qui lui paraissait parfaitement limpide au moment de monter dans le train, ne le sera plus à l'arrivée à la gare de Termini, d'où le titre La modification. Butor procède à une analyse minutieuse du sentiment amoureux, de ses composantes internes et externes, de son évolution en fonction du contexte.
Le tour de force de Michel Butor est de venir enchâsser la trajectoire de son histoire d'amour dans le voyage en train, sorte d'espace-temps, qui prend lui-même, de par son traitement formel, une dimension cosmique et poétique. Nous sommes encapsulés dans le compartiment où des voyageurs mutiques entrent et sortent, se lèvent pour fumer une cigarette, se renouvellent au gré du trajet. Léon projette sur eux ses rêveries, ses fantasmes, les affuble de prénoms inventés. Les corps sont en mouvement, suivant les soubresauts du wagon, dans un jeu de lumières et de reflets traversant les vitres. Les gares défilent vers l'Italie, puis en sens inverse. Des éléments quasi surnaturels surgissent comme la grille métallique du chauffage au sol dont les composants se déforment progressivement. Bientôt les rêves et les cauchemars de Léon viennent percuter la réalité et perturber la fin du parcours.
Une pointe de nostalgie vient agrémenter la lecture, à l'évocation des voitures de chemin de fer de cette époque, les filets sur lesquels on suspendait les bagages, les photos de sites touristiques en noir et blanc au dessus des sièges, "e pericoloso sporgesi"...
Enfin, je citerais l'un des "personnages" principaux du roman, la ville de Rome, sublimée, idéalisée, que Léon sillonne en long, en large, en visitant tous les sites, les églises, monuments, temples, fontaines, nourrissant à son égard une fascination, la comparant et la mettant en parallèle avec Paris.
Des zigzags dans le temps et l'espace, des circonvolutions dans les strates de la mémoire et de l'Histoire, un roman, déconcertant, subtil, à la composition sophistiquée.



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Vous prenez ce livre, et vous l'ouvrez, vous vous installez confortablement, et vous laissez s'égrener les heures. C'est long, vous le savez, d'ici à Rome, vous l'avez fait souvent, ce trajet, inutile de le nier. On vous a reconnu!!

D'ici l'arrivée en gare de Rome Termini, vous avez le temps de changer d'avis dix fois...

Notez que malgré tout ce qu'on vous a dit sur le nouveau roman, qu'il était fastidieux, snob et rasoir, c'est l'occasion de vérifier: les jolis boogies vous font bouger, ce sont des jolis boogies gais, chantonnerait Souchon. Je déraille, erreur d'aiguillage...

Laissons -nous porter..ou plutôt laissez-vous, n'oubliez pas la deuxième personne, la deuxième personne avant toute chose et pour cela préfère l'impair...d'ailleurs si avez oublié le vôtre, d'imper: ce n'est pas grave, il fait si beau à Rome...

Bref, si vous lisez ce livre, et si vous changez d'avis en cours de route, c'est que le charme a opéré. Un nouveau roman a fait votre conquête. Vous voyez que ce n'était pas si dur que cela, pas si Butor, votre Michel: il a opéré une sérieuse modification en vous, non? Je m'é-gare? Bon, bon, revenez à vos moutons...
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