Citations sur Génie la folle (10)
Je voulais toujours lui dire que j’étais là à l’attendre, que j’étais si contente, si contente qu’elle soit revenue ce soir encore, que moi je l’aimais. Mais elle avait le visage plein de silence.
Une folle en liberté, tout le monde la regarde. Mais une folle enfermée, on l'oublie. (p.197)
Elle ne me parlait pas. Parfois, le soir, elle pleurait. Je me souviens. Je disais :
- Pourquoi tu pleures ?
Elle ne répondait pas. Je disais :
- Ne pleure pas.
Je voulais aller vers elle, lui dire :
- Moi tu m'as.
Mais elle pleurait loin. Il y avait, partout, beaucoup de silence, les saules fous de la rivière, les aboiements des renards affamés sur la colline, et elle qui pleurait loin et qui disait parfois :
- Et moi, je n'ai rien eu. Rien eu.
J'aurais voulu aller vers elle.
Lorsque ainsi elle traversait le village, et c'était rare car, le plus souvent, pour se rendre dans les fermes, elle le contournait par des chemins de traverse ou en coupant par les champs, les gens se taisaient pour la regarder arriver, passer, s'éloigner. On ne riait pas. On ne la saluait pas de plaisanteries. Ell allait, le regard loin, moi courant derrière elle et on la regardait.
Si on venait à lui parler, on disait :
- Génie la folle.
jamais :
- Eugénie.
ni :
-Madame.
toujours :
- Génie la folle.
Pierre parlait. Ses yeux devenaient plages veloutées où dansait l'eau habitée d'étoiles. Dans la gare désertée, ses yeux se veloutaient du soleil des plages. J'étais la nuit, au bord des plages, oiseau rouge dans la musique des vents dans les filaos.
L'enfant, c'est la mémoire de la vie.
Tu sais comment tout le monde t'appelle, Génie la folle. Génie la folle, c'est bien trouvé. Je peux te faire enfermer à l'asile. Une folle en liberté, tout le monde la regarde. Mais une folle enfermée, on l'oublie.
Je n'ai pas remarqué ce jour plus que les autres, sur le moment, parce que rien jamais n'avertit qu'on est en train de vivre un jour particulier, un commencement et une fin, ni même si un commencement heureux parce que certaines choses ont l'air normales ou heureuses et après on voit qu'elles deviennent terribles.
Je cherchais les nids de corbeaux, je me disais comment je les apprivoiserais aussi, je leur apprendrais à parler, à rester percher sur mes épaules ou sur ma tête, et tous, les renards et les corbeaux et moi, on s'aimerait tranquillement, comme des familles heureuses.
C'était une lettre officielle, dactylographiée, écrite par personne. Elle disait : Pierre était mort plein d'honneur et serait enterré avec tous les honneurs qui lui étaient dus.
L'enfance, c'est la mémoire de la vie.