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Critique de SZRAMOWO


Le narrateur (Henri) est né en 1900, il nous raconte son histoire, une histoire du XXème siècle, celui qui commence par la grande guerre.
Forcément, la grande guerre, ça marque. Ca vous imprime les choses différemment. Ca vous les fait sortir par tous les orifices.

La 4ème de couverture est rédigée par Francis Ponge, il voit chez Calet, l'influence de Charles-Louis Philippe ou d'Eugène Dabit, soit, mais in fine de Céline aussi, et c'est vrai, on y pense à longueur de lignes.
Peut-être à cause du contexte, de Paris, du décor, de l'histoire, des mêmes tromperies toujours répétées, peut-être les personnages à moitié fini, défaits par la vie avant même d'y entrer.
La différence, c'est que là où le héros célinien met les pieds dans le plat, vitupère et revendique, assassine, Henri, lui est simplement féroce, sans méchanceté, une férocité assumée, pas vindicative ni revancharde pour deux sous.
Et puis chez Calet, il y a une forme d'humour, comment dire dé-Calet (je n'ai pas pu résister), distante, l'humour de celui qui sait, qui subit sans rechigner, qui accepte.
Ce livre est attachant, d'une tristesse réaliste, sans optimisme, car on ne peut se permettre le luxe d'en avoir, sans pessimisme, car c'est un luxe hors de portée.
On peut pleurer ou rire, se moquer ou dédaigner, cela ne changera rien à la trajectoire de vie de ceux qui passent dans les pages de ce roman.

«Le chômage et les cris dans la crise, ce n'est plus la belle lurette»

Henri est le résultat de l'accouplement d'une fille Toubide et d'un rejeton Vertebranche.
Sophie Toubide, «fruit d'une union provinciale et bien pensante», «sortit scandaleusement de de ce monde, dans sa seizième année»
Abandonnée par l'anarchiste quadragénaire qui lui fait un première enfant, Césarine, elle se lance à corps perdu dans l'apostolat anarchiste. «Il fallait coucher beaucoup» conclut Henri.
Les parents de Sophie : «plongèrent dans la consternation», «et on les vit se laisser aller à leurs inclinations naturelles : pour elle, la broderie, pour lui le jeu de boules.»
Sophie connaitra la prison malgré le juge d'instruction «qui en la pelotant un peu, affirmait que tout s'arrangerait...»
Vertebranche, une queue de race qui a mal tourné, à vingt ans, «était alors clochard, vermineux et en état de désertion»

La grand-mère Vertebranche, reçue en son jeune temps à la cour de l'impératrice Eugénie, parle d'Henri en ces termes :
Ah ! c'est le petit scélérat.
Du gibier de potence comme son père.
Tout a dérapé avec la grande Tante Marguerite, devenue par nécessité, femme de ménage d'un chef de gare, puis avec Aurélien condamné à vingt ans de travaux forcés, enfin avec Félix l'instituteur indigne, et Théo le cocher d'omnibus.

Le père d'Henri a connu la Petite Roquette, encore prison pour enfants, a vécu chez Fradin aux Halles, :
«ou on passait la nuit pour trois sous».
«Plus on montait (dans les étages) plus ça puait.»
«Il fit des séjours trop brefs à l'hôpital, le temps de s'épouiller, et des séjours trop long à la Santé (prison).»
De cette famille dégénérée Henri hérite de son grand père :
« Il laissait en plus, grand-papa, une vérole, qui le plus naturellement du monde, devait plus tard me revenir. Ce n'est pas un reproche.»
«C'était dans mes os, la manifestation de la syphilis ancestrale.»
«le passé ne passait pas»

La petite enfance de Henri fut heureuse, du moins c'est ce qu'il croit :
Gardons-le ! dit mon père qui coutumièrement décrétait «à l'égout !»
Le lait blanc, en jet, du corps de ma mère t qui chatouille le gosier
Je rigolais ma vie.
Une gestation exceptionnellement tranquille dans les entrailles exubérantes de ma mère.

Mais le monde du dehors est moins tendre, il y rencontre dans l'impasse où habite ses parents, qu'il quittera « à la cloche de bois silencieuse» :
...des échoppes....où prospérait un bas commerce.
Des petits métiers désespérés.
Les putains pâles, en cheveux, qui répétaient des invites dans le courant d'air...
Les ivrognes qui venaient, en chantant, pisser sur la nuit...

Commence alors la vie avec son père, et les journées de galère, il n'a que trois ans :
«... il avait participé à l'agitation de rues dans les jours de «l'Affaire». du bon côté naturellement.»
«Avec moi, avec son allure intéressante de type qui ne fera pas de vieux os, il appâtait. »
La maman, elle, reste à la maison à fabriquer de la fausse monnaie.

Dieu :
Faites, Ô mon Dieu, que papa et maman vivent longtemps et n'aillent jamais en prison à cause de la fausse monnaie;.

Jusqu'à ce que ce fragile équilibre se rompe, lorsque le père les quitte avec Louise, sa belle-fille âgée de dix-sept-ans :
- Mais à cette vie agréable et réglée, mon père préféra la rigolade.
- Ma mère recevait des coups durs dans sa belle figure.
- J'étais devenu l'enfant-martyr du quartier.

La vie avec la mère s'organise, elle est tireuse de cartes :
- Elle pratiquait l'amour maternel sans illusions et puis, j'étais dans l'âge ingrat, moi.
Posez une question mentalement et pensez fortement disait ma mère à la Bretonne.
Oh ! ma pauvre, vous avez les trois sept !.....Les trois sept, c'est la grossesse immanquablement.
Elle est faiseuse d'anges, à l'occasion :
Ce sont des dames qui ont mal au ventre.
Maman mettait la main à la pâte de la chair rouge des ventres.
La vie était difficile ; nous ne décrochions un avortement que par ci par là.
«Mes belles histoires je les faisais moi-même, Maman n'avait pas le temps»

Elle rencontre un Antoine malgré ses quarante ans :
A quarante ans, elle avait faim de la vie. de potelée elle devenait pansue.
La verte lui dévorait l'intérieur. Encore un qui n'arrivait pas à digérer la merde de tous les jours et c'est ce qui lui donnait cet air écrasé. Il était des nôtres.
Il fabriquait son avenir jour après jour

La guerre les trouve en Belgique, la patrie d'Antoine, où ils se réfugient chez tante Adèle une tenancière de maison.
L'estaminet «A la Rose», plus communément dénommé, par les flandrins du lieu «La cage à putains»
On baisait dans la cuisine, on vomissait dans la courette et la tante aux grosses fesses planait sur tout cela.

Les gueules cassées :
-Ils tapaient dans le vide de leurs ablations en disant : «J'ai laissé ça à Verdun»
Au lycée Charlemagne :
J'avais des boutons et un grand dégout pour l'humanité toute entière.

Quand son père et sa mère se retrouvent :
Je me mis à sécréter de la haine, ce qui m'était facile, et essayais de les séparer, de mettre entre eux la zizanie.
Il joua des cheveux blancs et je me décidai à réviser les jugements sévères du tribunal de ma conscience.
A la maison, mon père est entré dans une colère si grande que je ne l'en vis pas ressortir.

Il retrouve Antoine, l'amant belge de sa mère :
Plus fort que la vérité : les quatre vérités.
L'échelle sociale : il la descendait.
Je suis entre parenthèses de cette génération de français qui a encore du Pernod dans les veines.

Il travaille, reste seul jusqu'à ce qu'il rencontre Juliette
L'onanisme est un plaisir vraiment gratuit. le vrai plaisir des solitaires et des pauvres.
Elle était rentré dans le monde au bout d'un forceps.
Je l'appelais pourtant mon bel ange blond car je n'avais pas la pauvreté dans la bouche.
Les jeunes gens, mes collègues en viande fraîche pour guerre prochaine, s'envoyaient les colonnes de performances sportives de leurs journaux multicolores.

Les odeurs qui accompagnent Henri :
Tout ce qui ne sentait pas bon, m'était bon.
A la longue nos émotions devenaient malodorantes. L'atmosphère se chargeait de senteurs ; fortes entre toutes étaient celles des mégots écrasés, des aisselles et des entre-jambes.
Une blague qui n'est pas merdeuse n'est pas une bonne blague.
Les pieds dans l'urine, je rendais la marchandise acidulée du père Jules et celle, de qualité inférieure, de madame Julot.
Moi j'avais fait cette double remarque que ça sentait mauvais et que c'était gluant entre les jambes de la petite Germaine.
Je suivais l'évolution tumultueuse des diarrhées, ou celle, soupirante, des constipations, jusqu'au froissement du papier de soie annonciateur du dénouement....

Les paysages :
Un pioupiou en sentinelle, l'arme au pied, laissait passer par dessus son képi les nuages gris ourlés de rose qui, en bandes, quittaient la terre pour s'en aller sur l'eau.
Soirs : une grosse lune montait très vite pour faire une clarté rousse. Signal. Et, toutes ensemble, les barques rentraient l'avant retroussé et les focs triangulaires d'ocre pâli pointés vers le phare massif du cap.
L'herbe, tout doucement, écartait les pavés des chaussées où ne circulait qu'un charroi rare de boeufs et de vaches au pis desséché, d'allure nonchalante et archaïque.

Les personnages :
Il roulait les r depuis un bourg sec, écrasé et noirâtre du Massif Central, jusqu'en cette banlieue parisienne.
On voyait qu'il se faisait mal à remuer ainsi le fer dans la plaie de l'argent.
Il parlait du faux col, car il n'avait pas du tout de menton.
Dans ce concierge, c'était un va et vient glaireux.
Monsieur Tocsin, l'unique professeur était un ténor léger.

Avant de nous quitter, Calet écrivait cette phrase, reprise par Raymond Devos dans son sketch «le vent de la révolte» et par Miossec dans sa chanson «La facture d'électricité» :

« C'est sur la peau de mon coeur que l'on trouverait des rides. Je suis déjà un peu parti, absent. Faites comme si je n'étais pas là. Ma voix ne porte plus très loin. Mourir sans savoir ce qu'est la mort, ni la vie. Il faut se quitter déjà ? Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. »
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