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Critique de LeScribouillard


Ne lisez pas ce livre sans avoir pris votre came. Et encore.
Loin de moi pour autant l'idée de dire que "Wonderful" est mauvais. C'est tout le contraire : il tient ses partis pris jusqu'au bout. Mais le problème, ce sont ses partis pris en eux-même.
David Calvo, pourtant, c'est un mec avec un humour génial, une imagination dingue et une poésie folle. Un peu trop, peut-être ? Non, même pas. de l'imagination, on n'en aura jamais assez. Mais il faut savoir la doser.
C'est pourtant pas ce que j'aurais aimé voir en ce livre. J'aurais aimé voir un enchevêtrement de situations de fin du monde, et voir comment les gens réagissaient, comment tout était lié sans pour autant qu'un élément piétine les autres. La lune meurt, OK ; les hommes en noir, le vent, OK. le postulat auquel je m'attendais, c'est : "C'est la fin du monde, donc la lune mourante est une conséquence". le postulat de l'auteur, c'est : "La lune meurt, donc la fin du monde est une conséquence".
Bon, c'est pas pour autant que le livre est mauvais. Tout est lié, oui, mais c'est centré autour de la lune, soit. Les relations humaines sont montrées, elles aussi. Seulement, ça va loin, très très loin. Et pas forcément dans la direction qu'on voudrait.
Car côté surréalisme, on s'y enfonce à pieds joints : les planètes sont des entités douées de conscience qui peuvent se matérialiser sous une forme humaine, on a un gros complot cosmico-cinglé avec une histoire de sanskrit qui ne sera jamais résolue, la neige sur la télévision est de la neige pour de vrai, les nains se mettent à exister et les détectives privés se transforment en galliminus. Bon, je sais, suspension d'incrédulité, mais ce n'est pas parce que le cosmos part en couille que les humains aussi. D'accord, c'est la fin du monde et ils n'ont aucune issue, donc ils auront donc un comportement inapproprié, mais ça ne justifie pas toutes leurs réactions parfois complètement cartoonesques.
Et puisqu'on parle d'humains, le livre pose sur eux une vision vraiment particulière : les humains sont petits et égoïstes, et les Planètes, les divinités, valent mieux qu'eux car leur monde est merveilleux et qu'elles sont bien plus âgées et expérimentées. Qu'un livre puisse nous délivrer une telle leçon d'humilité, pourquoi pas ? Des alternatives à l'humanisme ou au nihilisme, on n'en croise pas tant que ça. Mais les Planètes sont certes mystérieuses, il n'en reste pas moins que leurs réactions et leurs relations entre elles soient totalement humaines. Et les vrais humains sont montrés eux tels quels, ce qui fait qu'il n'y a aucun contraste. Vous savez à quel point j'ai horreur des clichés et je rejette le manichéisme simpliste (car il peut être complexe, à condition d'être atténué), mais là... il n'y a aucune raison de respecter la volonté des Planètes d'anéantir l'humanité. Ce n'est même pas à elle qu'elle en veut ! Et si le message, c'est "les dieux sont des ordures", alors strictement rien n'est orchestré pour nous faire penser ça.
Alors, qu'est-ce qu'a ce livre de si bon ? Eh bien, d'accord, il est totalement surréaliste et premier degré, mais il invente sa propre logique et il s'y tient. Ou du moins, il ne la brise pas sans une bonne raison. L'histoire est surréaliste, alors on pousse le bouchon jusqu'au bout. Son intrigue est décousue et improbable, alors on ne va pas chipoter sur des degrés d'une crédibilité quelconque. le sense of wonder est présent, lui aussi, mais mêlé à du carton-pâte, du grand-guignol : toutes les extrémités qu'on pouvait expérimenter dans ce domaine-là sont poussées dans leurs derniers retranchements. On peut peut-être comparer ça à du David Lynch en un peu moins noir, mais je vois surtout dans ce déferlement créatif une envie de se défaire d'absolument tout ce que la littérature, spéculative ou non, a pu imposer. Mais des fois, c'est le trop-plein : la poésie qu'on désire tant apporter au roman ne prend pas, sauf dans les tout derniers chapitres. Pourtant, elle aussi sait en mettre plein les yeux.
C'est donc un de ces livres maudits, à la fois bâtards et harmonieux, des fleurs du mal postmodernes complètement barrées et assumées ; c'est donc aussi un patchwork. Et très franchement, en voir de temps en temps, ça ne fait pas de mal. Et si on en faisait une adaptation, bordel ! qu'est-ce que j'aimerais la voir ! J'imagine tellement bien une Londres grise et glacée sous un éclairage bleu pâle, habitée seulement de la symphonie d'Yves Klein... Eh oui, parce que non seulement ce serait beau, mais en plus, le bleu a mine de rien un sacré rôle : c'est l'hiver, l'instant où le monde paraît délavé et le ciel plus azur que jamais ; et Blue FM, par son total non-sens, symbolise une humanité perdue, sur le chemin de l'extinction, décadente et obsolète. Quant aux autres Couleurs, elles se révèlent étrangères et donc hostiles à ce monde en perdition.
Donc, "Wonderful", c'est un peu de diversité (beaucoup, même), et une expérience à tenter. Et c'est encore mieux quand on écoute un morceau de tribecore totalement défoncé et tout aussi délirant.
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